Je prends le parti de vous restituer l'Introduction
ainsi que le Chapitre 1er non pas parce qu'ils traitent
de massage mais seulement parce qu'ils donnent une
très bonne vision de l'époque d'Hippocrate.
Par contre, la plupart des notes de bas de page ont
disparu à l'exception de quelques-unes qui ont
été intégrées au texte et
que j'ai mis en gris. Dans l'édition Orginale
de Littré, je les ai restauré.
La pagination est également celle
du présent fac simile mais j'ai ajouté
le numéro des pages de l'édition de Littré
entre parenthèses afin que vous puissiez les
visualiser et/ou y accéder et vice-et-versa.
_______
Page
39/1 EO
Introduction
Les livres médicaux
qui sont arrivés jusqu'à notre temps sous
le nom d'Hippocrate
appartiennent-ils tous véritablement à
ce médecin ? Dans le cas de la négative,
quel est l'auteur, ou quels sont les auteurs dont les
productions pseudonymes ont été conservées
dans la collection hippocratique ? A quelle marque peut-on
distinguer les écrits qui sont réellement
l'œuvre d'Hippocrate, de ceux qui ne sont pas de lui
? Quelle classification doit-on introduire dans cette
masse de livres, si on parvient à établir
qu'ils dérivent de sources différentes
? Comment s'est-il fait que des écrits aient
reçu faussement le nom d'Hippocrate, et aient
été publiés sous ce titre ? A quelle
époque peut-on faire remonter la publication
de cette célèbre collection ? A-t-elle
vu le jour du vivant d'Hippocrate lui-même, ou
n'a-t-elle été livrée à
la publicité, dans sa forme actuelle, qu'un assez
long temps après sa mort ? Quel est, déduction
faite des livres qui ne sont pas de lui, le véritable
système de ce médecin ? De quelle manière
son système se rattache-t-il aux doctrines plus
anciennes, et quels fruits immédiats a-t-il portés?
Enfin, que sait-on de positif sur la biographie d'Hippocrate
lui-même, au milieu de toutes les fables dont
sa vie a été le texte ? Et quelles notions
certaines pouvons-nous nous faire de sa méthode,
de sa manière de voir et de son caractère
médical ?
Ce sont là les questions
(et chacune d'elles en renferme plusieurs autres) que
je me propose de traiter dans le long travail auquel
je donne le titre d'Introduction, et que je soumets
ici au jugement du lecteur Plus j'ai avancé dans
la traduction de la collection hippocratique, plus j'ai
compris la nécessité de discuter soigneusement
toutes
Page
40
ces questions.
Elles sont préliminaires, il est vrai ; mais
elles n'en sont pas moins essentielles ; et, au milieu
des difficultés de l'édition nouvelle
que j'ai entreprise, je ne me suis senti quelque sûreté,
que du moment où j'ai eu approfondi les problèmes
de critique littéraire et médicale que
je viens d'énumérer. (p.3)
Page
41/(p.3) EO
Chapitre I, page
41/55 Coup d'oeil sur la médecine
avant le temps d'Hippocrate,
Lorsqu'on recherche l'histoire
de la médecine et les commencements de la science,
le premier corps de doctrine que l'on rencontre, est
la collection d'écrits connue sous le nom d'œuvres
d'Hippocrate.
La science remonte directement à cette origine
et s'y arrête. Ce n'est pas qu'elle n'eût
été cultivée antérieurement,
et qu'elle n'eût donné lieu à des
productions même nombreuses ; mais tout ce qui
avait été fait avant le médecin
de Cos
a péri. Il ne nous en reste que des fragments
épars et sans coordination ; seuls, les ouvrages
hippocratiques ont échappé à la
destruction ; et, par une circonstance assez singulière,
il existe une grande lacune après eux, comme
il en existait une avant eux ; les travaux des médecins,
d'Hippocrate à l'établissement de l'école d'Alexandrie, ceux de cette école
même ont péri complètement, à
part des citations et des passages conservés
dans des écrivains (p.4) postérieurs
; de telle sorte que les écrits hippocratiques
demeurent isolés au milieu des débris
de l'antique littérature médicale. Cet
isolement les agrandit encore et leur donne un lustre
et un intérêt particuliers ; ils en ressortent
davantage aux yeux du spectateur qui contemple les ruines
de l'intelligence ; comparables aux édifices
qui restent seuls debout au milieu des cités
anéanties, et qui paraissent d'autant plus grands
et plus majestueux que les rues et les places qui les
entouraient ont disparu.
Quand même les œuvres
d'Hippocrate n'auraient pas d'autre avantage que d'occuper
la première place dans l'ordre chronologique
de la médecine, ils exciteraient la curiosité
de l'homme qui veut s'instruire dans l'ancienne science
des peuples. Mais bien d'autres méri-
Page
42
tes appellent
notre attention. Ils ont été placés
trop près de l'origine des choses, pour ne pas
avoir un type qui n'a plus dû se reproduire dans
le cours du temps ; ils ont exercé une trop grande
influence sur les destinées de la médecine
pour ne pas receler des sources de savoir qui ne sont
pas encore épuisées ; ils ont été
trop étudiés pour ne pas mériter
d'être étudiés encore. Moins que
jamais, il est permis à la médecine d'oublier
son passé ; de s'enfermer exclusivement dans
le domaine de l'observation contemporaine ; de sacrifier
au présent les expériences qui ont été
faites, les enseignements qui ont été
donnés, les pensées générales
qui ont été disséminées
dans les œuvres des génies éminents ;
de laisser dans l'obscurité tant de faits pathologiques
qui, produits une fois, ne doivent plus peut-être
se reproduire ; de négliger tant de points de
vue que le cours des choses toujours divers a présentés
; enfin, de renoncera l'intelligence de la loi qui a
présidé au développement intérieur
d'une science aussi ancienne et aussi vaste.
L'existence isolée
de la collection hippocratique au com-(p.5)mencement
même de l'histoire de la médecine, a fait
croire que cette science ne datait réellement
que de l'époque et des travaux d'Hippocrate.
C'est une erreur : cette collection a été
précédée d'une longue période
d'efforts et de recherches qui n'ont point été
stériles, et elle a recueilli des héritages
dont il n'est pas impossible de trouver la trace. Il
importe donc de montrer qu'Hippocrate, son école
et leurs livres sont venus dans les temps d'activité
scientifique, et qu'il y avait eu avant eux d'autres
écoles et d'autres livres.
Les sources de la médecine grecque dans l'âge qui
a été immédiatement antérieur
au célèbre médecin, sont au nombre
de trois. La première est dans les collèges
des prêtres-médecins qui desservaient les temples
d'Esculape,
et que l'on désignait sous le nom d'Asclépiades
; la seconde, dans les philosophes ou physiologistes
qui s'occupaient de l'étude de la nature, et
qui avaient fait entrer dans le cadre de leurs recherches
l'organisation des corps et l'origine des maladies ;
la troisième est dans les gymnases
ou les chefs de ces établissements avaient donné
une grande attention aux effets, sur la santé,
des exercices et des aliments. Il faut examiner successivement
ces trois éléments du développement
médical dans l'ancienne Grèce.
La médecine égyptienne
était exercée par des prêtres ;
elle appartenait à une certaine fraction de la
classe sacerdotale. Il en fut de même dans l'organisation
primitive de la Grèce, qui reçut de ses
premiers instituteurs, les Égyptiens, un établissement
social longtemps
Page
43
marqué
du sceau de sa première origine ; et là,
comme sur les bords du Nil, les prêtres se chargèrent
du soin de la santé des hommes. Des deux côtés
l'art s'enferma dans les temples, se communiqua aux
initiés, fut caché au vulgaire, et se
lia par sa position même à une série
d'idées et de pratiques plus ou moins superstitieuses.
(p.6)
Le dieu de la médecine
était Esculape, venu, comme tous les dieux de
l'Olympe grec, des régions de l'Orient. La mythologie
le faisait fils du Soleil. Cette généalogie,
sans doute, n'est pas moins symbolique que la personne
même du dieu, et Pausanias
1 raconte qu'un Sidonien, qu'il
rencontra dans le temple d'Esculape à Aegium,
lui dit que ce dieu est la personnification de l'air
nécessaire à l'entretien de la santé
de tous les êtres, et qu'Apollon,
qui représente de son côté le soleil,
est dit, avec raison, le père d'Esculape, puisque
son cours détermine les différentes saisons
et communique à l'atmosphère sa salubrité.
Le culte d'Esculape remonte dans la Grèce à
une haute antiquité ; ses fils Podalire
et Machaon
sont comptée,
par Homère, parmi les héros qui assiégèrent
la ville de Troie ; et c'est à ces deux personnages
qu'on attribuait l'introduction du culte d'Esculape
dans la Grèce. Les mythologues prétendent
que Machaon le porta dans le Péloponnèse,
et Podalire dans l'Asie-Mineure. Le plus ancien temple
passait pour être celui de Titane près
de Sicyone
et Xénophon
2 rapporte que, selon un antique
usage, des médecins suivaient l'armée
lacédémonienne en campagne, et se tenaient
auprès du roi sur le champ de bataille. Ces médecins
ne pouvaient être que des serviteurs d'un des
temples d'Esculape 3
que possédait
Lacédémone
.
Dès la plus haute antiquité,
il se fonda dans la Grèce un grand nombre de
ces Asclépions 4
qui s'ouvrirent
pour le service du dieu et le service des malades, et
qui disséminèrent, avec son culte, la
pratique de l'art. Ces temples étaient en même
temps (p.7) des
écoles où l'on s'instruisait dans la science
médicale, et les plus connus à cet égard,
dans les temps qui précédèrent
immédiatement Hippocrate,
furent ceux de Cyrène
, de Rhodes
, de Cnide et de
Cos . Les écoles de Rhodes
et de Cyrène s'éclipsèrent de bonne
heure , et il ne reste aucun monument médical
que l'on puisse y rapporter. Mais celles de Cos et de
Cnide acquirent beaucoup d'illustration, et elles ont
joué un grand rôle dans la médecine.
L'école de Cnide doit
être nommée d'abord ; car c'est d'elle
qu'est sorti le premier livre que nous puissions attribuer
avec quelque sûreté aux Asclépiades
; et l'un des plus importants écrits d'Hippocrate
est dirigé contre ce livre, intitulé :
Sentences
cnidiennes.
Page
44
Le plus ancien des Asclépiades
cnidiens que l'on connaisse est Euryphon, contemporain d'Hippocrate,
mais plus âgé que lui. Regardé comme
l'auteur des Sentences cnidiennes, il est cité
par Platon le Comique ; ce poète, introduisant
Cinésias au sortir d'une pleurésie, le
représente maigre comme un squelette ; la poitrine
pleine de pus, les jambes comme un roseau, et tout le
corps chargé des eschares qu'Euryphon lui avait
faites en le brûlant. Cette mention d'Euryphon
par un poète contemporain, est la preuve qu'il
jouissait alors d'une réputation populaire. Il
est encore cité par Rufus , par Coelius Aurélianus et par
Galien,
qui
dit même qu'on lui attribuait quelques-(p.8)uns
des traités compris dans la collection hippocratique.
Dès le temps d'Hippocrate
il y avait eu deux éditions des Sentences
cnidiennes
; ce qui prouve les méditations de l'auteur et
le progrès du travail. Le fond du livre avait
été conservé, mais il y avait eu
des retranchements, des additions et des changements.
« Les médecins cnidiens avaient publié,
dit Galien, de secondes Sentences
cnidiennes,
et c'est de ce livre qu'Hippocrate dit qu'il avait un
caractère plus médical. » Cet écrit,
actuellement perdu, a subsisté longtemps, et
Galien l'avait encore sous les yeux. Les Cnidiens disaient
les maladies en un très-grand nombre d'espèces
; ainsi ils admettaient sept maladies de la bile, douze maladies de la vessie,
quatre maladies des reins, de plus quatre stranguries,
trois tétanos, quatre ictères, trois phtisies
; car ils considéraient les différences
des corps, différences variables suivant une
foule de circonstances, et ils laissaient de côté
la ressemblance des diathèses observée
par Hippocrate.
L'école de Cos n'était pas, à
cette, époque, élevée au-dessus
de sa rivale ; car elle n'avait point encore produit
Hippocrate. A part les aïeux de ce médecin
que l'on dit avoir pratiqué la médecine
dans l'Ile, on ne rencontre mentionné que le
nom d'un médecin de Cos ; il s'appelait Apollonidès.
Cet Apollonidès se trouvait à la cour
du roi de Perse, Artaxerxés Ier. Mégabyze
,
un des grands seigneurs de cette cour, ayant été
grièvement blessé dans un combat, fut
sauvé à force de soins par ce médecin.
Apollonidès eut une fin tra-(p.9)gique
; il lia une intrigue amoureuse avec une princesse persane,
sous prétexte de la guérir ; celle-ci,
sur le point de mourir, révéla tout à
Amistris, sa mère, et mère d'Artaxerxés,
laquelle, après avoir tourmenté Apollonidès
pendant deux mois, le fit enterrer vivant le jour où
sa fille expira.
Autant donc que nous en pouvons
juger, l'école de Cos entra plus tard que l'école
de Cnide dans la carrière des publications. Les
malades qui venaient se faire traiter dans les temples
avaient l'habitude
Page
45
d'y laisser quelques mots qui
exprimaient leur reconnaissance envers le dieu, et qui
caractérisaient la maladie dont ils avaient été
délivrés. « Le temple d'Épidaure,
dit Strabon,
est
toujours plein de malades et de tableaux qui y sont
suspendus, et dans lesquels le traitement est consigné.
Il en est de même à Cos et à Tricca.
» Les prêtres recueillaient ces notes ;
du moins nous pouvons le croire pour ceux de Cos ; car
les Prénotions
Coaques
de la collection hippocratique ne sont sans doute qu'un
recueil de pareilles notes.
On y voit que l'école
de Cos attachait une importance particulière
à reconnaître les caractères communs
des maladies ; c'est-à-dire les symptômes
qui annoncent les efforts de la nature, et à
distinguer les crises (le mot lui appartient peut-être)
et les jours critiques. Telle était la direction
où l'école de Cos était placée
au moment où Hippocrate
y commence son noviciat médical.
Le malade qui venait chercher
du soulagement dans les Asclépions était d'abord soumis
à quelques préliminaires qui, sous un
appareil religieux, l'obligeaient à des jeûnes
prolongés, à des purifications, à
des ablutions
et à des onctions
de toutes sortes. Ainsi préparé, il entrait
dans le temple,(p.10) et
il y passait la nuit ; c'est ce qu'on appelait l'incubation. Aristophane,
dans sa comédie de Plutus, en fait une description très
plaisante. Mais pour les malades c'était quelque
chose de sérieux. Pendant la nuit le dieu leur
apparaissait et leur prescrivait les remèdes
nécessaires. Le lendemain le malade racontait
sa vision , et était soumis en conséquence
au traitement ordonné. Les Asclèpions
étaient généralement placés
dans une contrée saine, dans un site riant; un
bois sacré les entourait toujours, de sorte que
toutes les conditions de salubrité et d'agrément
s'y rencontraient. Ces bois, du moins pour l'île
de Cos, étaient formés
d'arbres de haute futaie ; car Turullius, lieutenant
d'Antoine
,
coupa celui de Cos pour en construire une flotte 1.
Les prêtres médecins
allaient-ils exercer leur ministère en dehors
des temples ? Schulze admet la négative ; mais
cet excellent historien de la médecine me paraît
n'avoir pas donné autant d'attention qu'il en
donne ordinairement aux faits consignés dans
les livres : l'exemple d'Hippocrate est décisif
dans cette question ; il appartenait, dans le sacerdoce
médical, à une famille illustre qui se
disait descendue d'Esculape
; nul n'était donc plus que lui lié par
tous les usages, par toutes les règles qui dirigeaient
la pratique de l'art parmi les prêtres-médecins. Néanmoins il parcourut
comme médecin périodeute ou ambulant différentes
parties de la Grèce, et il y exerça la
médecine ; il ne peut
Page
46
donc y avoir
aucun doute sur ce point : les prêtres des Asclépions, qui traitaient les malades
dans leurs temples, allaient aussi les traiter au dehors.
Ils ne faisaient, au reste, que ce que faisaient de
leur côté (p.11) les
prêtres-médecins de l'Egypte.
Hérodote nous
montre ces médecins égyptiens
établis à la cour du roi de Perse, Darius
(1er) ,
fils d'Hystaspe .
Il y avait des asclépiades
à Rhodes
, à Cnide à Cos ; il y en avait à Athènes
; au milieu de leur temple se trouvait une source thermale.
Platon parle souvent des asclépiades athéniens,
et il le fait en termes qui prouvent qu'ils s'étaient
acquis une réputation d'élégance
et de bon goût dans la ville de Minerve .
En un mot, il y avait des asclépiades partout
où un temple d'Esculape avait été
fondé. Que faut-il entendre par cette dénomination
? Formaient-ils une famille réelle, ou simplement
une corporation qui se recrutait par voie d'initiation
? Il est certain que quelques-uns d'entr'eux ; en se
donnant ce nom, prétendaient indiquer leur généalogie,
et ils se disaient descendants d'Esculape par Podalire
ou Machaon .
Galien
nous
apprend que Ctésias , asclépiade de Cnide,
était parent d'Hippocrate,
et il nous dit ailleurs que, la branche des asclépiades
de Rhodes s'étant éteinte, l'école
de cette île tomba avec eux. Ces remarques pourraient
faire croire à l'existence d'une famille réelle,
mais dans le fond il n'en est rien. Il se peut que parmi
les prêtres qui desservaient les Asclépions quelques-uns se transmissent
en effet de père en fils la science médicale,
et formant ainsi dans le sein de la corporation une
vraie famille, prétendissent reporter leur origine
aux temps mythologiques. La famille d'Hippocrate était
sans doute dans ce cas ; mais c'était une prétention
particulière des Nébrides (nom qu'on lui
donnait aussi en raison d'un de ses aïeux). Le
reste des asclé-(p.12)piades
avait été recruté par voie d'association
et d'initiation ; on en a une preuve manifeste dans
le Protagoras de Platon1.
Socrate
demande à un des interlocuteurs de ce dialogue
ce qu'il se proposerait s'il allait étudier la
médecine sous Hippocrate de Cos ; l'autre répond
que ce serait pour se faire médecin. On devenait
donc médecin dans les écoles des asclépiades,
sans tenir à aucune famille sacerdotale, bailleurs,
comment aurait-il pu se faire que le nombre très-considérable
d'Asclépions répandus dans tous
les pays de langue grecque fussent desservis par les
membres d'une seule famille ?
Les asclépiades formaient
donc une corporation qui, dans un temps reculé,
avait eu le privilège exclusif de la pratique
médicale, mais qui, vers le temps d'Hippocrate,
commençait à le partager avec une foule
d'autres concurrents ; il est probable que pendant le
long
Page
47
espace de temps
où ils existèrent seuls, ils en avaient
été fort jaloux. Isidore2
dit « Esculape
ayant été tué d'un coup de foudre,
on rapporte que la médecine fut interdite, l'enseignement
en cessa avec son auteur, et elle resta cachée
pendant près de 800 ans, jusqu'au temps d'Artaxerxés
,
roi des Perses. Alors elle fut remise en lumière
par Hippocrate descendu d'Esculape, et né dans
l'île de Cos. » Schulze3
donne une explication ingénieuse du récit
mythologique où l'on représente Esculape
foudroyé pour avoir enseigné la médecine
aux hommes ; et il pense que les prêtres qui desservaient
ces temples exprimaient par ce symbole l'obligation
de renfermer la science dans l'enceinte sacrée,
et de ne pas la jeter dans les mains profanes du vulgaire.(p.13)
Ainsi, dans le siècle
qui a précédé immédiatement
Hippocrate,
on peut se faire une idée de l'activité
médicale qui régnait dans les Asclépions et parmi les asclépiades
: traitement des malades dans les temples et hors des
temples ; relation, sur des tablettes, des principaux
accidents et des moyens de traitement ; recueil de ces
notes ; publication de livres (Sentences
cnidiennes)
; et déjà traces d'un double système,
l'un qui consistait à noter tous les symptômes,
et à en faire presque autant de maladies distinctes
; l'autre qui recherchait ce que les symptômes
avaient de commun comme indices de l'état des
forces et du cours de la maladie. Mais le temps approchait
où rien ne devait empêcher la médecine
de sortir du fond des temples, et de prendre un développement
plus vaste au milieu d'une société qui,
de tous côtés, se précipitait vers
la science. En dehors du sacerdoce médical il
s'opérait le plus notable des changements, et
une science, créée par d'autres mains
que les siennes, l'entourait de toutes parts et le débordait.
Il s'agit des premiers philosophes grecs et de leurs travaux.
C'est là, en effet,
la seconde source de la médecine grecque au temps
d'Hippocrate, et immédiatement avant lui. Ces
anciens philosophes avaient pris la nature pour objet
de leurs études ; et presque tous avaient composé
des livres sous ce titre ; tels sont Mélissus
,
Parménide ,
Empédocle
,
Alcméon ,
Gorgias
et bien d'autres.
(note
de bas de page dans l'original) Tous
ces écrits sont antérieurs à Hippocrate
; quelques-uns, par exemple, ceux de Mélissus
,
de Gorgias
et de Prodicus ,
étaient en prose. Je consigne ici cette remarque
pour réfuter Sprengel ,
qui, dans son Apologie d'Hippocrate, dit que ce méddecin,
élève seulement de la nature, n'avait
rien pu apprendre dans une littérature beaucoup
trop pauvre. Sprengel
se sert de cet argument, qui, comme on voit, (p.14)
Page 48 n'a
point de base, pour discuter l'authenticité de
quelques écrits hippocratiques. Avant de donner
une date récente aux propositions philosophico-médicales
que la collection hippocratique renferme , il faut étudier
attentivement les fragments des monuments antérieurs.
Ces livres ont péri
; il n'en reste (p.14) que
de courts fragments ; néanmoins on peut apprécier
les questions qui ont clé traitées et
les recherches qui out été entreprises.
Les philosophes de cette époque faisaient entrer
dans le cercle de leurs spéculations l'organisation
des animaux et les maladies qui affligent l'espèce
humaine. C'est seulement de leurs travaux dans ce genre
qu'il peut être ici question.
La plus importante des écoles
philosophiques pour la médecine est celle de
la Grande-Grèce. Alcméon ,
de Crotone, s'était livré à la
dissection des animaux. Suivant lui, ce n'est pas le
blanc de l'œuf, c'est le jaune qui nourrit le poulet
; ceux qui ont pensé le contraire se sont laissé
induire en erreur 1.
Il admet que la santé est maintenue par l'équilibre
des qualités, telles que le chaud, l'humide,
le sec, le froid, l'amer, le doux ; et la domination
d'une de ces qualités engendre la maladie 2. Sprengel
3 pense
que cette théorie ne peut appartenir à
Alcméon, attendu que la considération
des qualités élémentaires est d'une
philosophie postérieure. Or il est certain que
plusieurs des philosophes antérieurs à
Hippocrate,
ou ses contemporains, ont admis ces qualités.
(p.15) Suivant
Philolaus , pythagoricien qui a composé
un Traité
sur la nature,
il est quatre organes principaux : le cerveau, le cœur,
l'ombilic et les parties génitales. A la tête
appartient l'intelligence, au cœur l'âme sensible,
à l'ombilic l'enracinement et la germination,
aux parties génitales l'émission de la
semence et la génération. Le cerveau est le principe de l'homme,
le cœur celui de l'animal, le nombril celui du végétal,
les parties génitales celui de toutes choses. Cette
opinion est remarquable parce qu'elle admet certains
degrés dans la vie des êtres : d'abord
l'existence commune à tous, et qui consiste dans
la procréation ; ensuite l'existence des plantes
; puis celle des animaux qui se distinguent par une
âme sensible ; enfin la vie de l'homme caractérisée
par la raison. Tous ces degrés de l'existence
vivante sont tellement ordonnés, que le plus
élevé contient tout ce qui constitue les
degrés inférieurs. Il serait facile de
voir dans ce fragment de Philolaus un germe de la grande
idée des anatomistes modernes qui cherchent à
démontrer l'uniformité d'un plan dans
le règne animal.
Page
49
A l'école philosophique
des Pythagoriciens se rattache l'école médicale
de Crotone en Italie. On ne voit nulle part qu'il y
ait eu dans cette ville un Asclépion, ni par conséquent
des asclépiades.
Hérodote ,
qui, exilé dans la Grande Grèce, composa
son histoire à Thurium, dans le voisinage de
Crotone, nous apprend que, de son temps, l'école
médicale de cette ville était la plus
célèbre. Il place au second rang celle
de Cyrène,
en Afrique, de laquelle nous ne savons rien autre chose,
et qui n'a rien produit ou dont il n'est rien resté.
A cette époque la réputation des écoles
de Cos et de Cnide n'avait pas attiré
l'attention de l'historien, et Hérodote n'en
dit (p.16) pas
un mot. Les Pythagoriciens avaient eu pendant longtemps
leur principal siège à Crotone ; ils s'étaient
livrés avec beaucoup de succès à
l'étude de la nature, et ils sont probablement
les premiers qui aient cultivé l'anatomie en
disséquant les animaux ; il n'est pas étonnant
qu'il se soit formé parmi eux, et sous l'influence
de leurs doctrines, une école médicale
qui a jeté un vif éclat. Celle de Crotone
est donc tout à fait en-dehors de la médecine
sacerdotale des Asclépions, et elle eut à ce titre
une grande influence sur le développement de
la science. A un autre titre encore elle mérite
d'être notée ici : c'est que ses doctrines
ont été une source où Hippocrate
a puisé abondamment, et que, par lui, elles ont
exercé un grand empire dans le monde médical.
C'est ce que je ferai voir quand j'aurai montré
ce qui, dans la collection hippocratique, appartient
réellement à Hippocrate. De l'école
de Crotone était sorti le médecin Démocède
,
qui, pris par les Perses à Samos, guérit
Darius d'une entorse dangereuse, et se concilia la faveur
de ce prince, inutilement traité par les médecins
égyptiens.
Galien 1, qui donne le nom d'école
d'Italie à celle qui s'était formée
à Crotone et parmi les Pythagoriciens, y comprend
les travaux qui sortirent de la Sicile et d'Agrigente.
Empédocle
,
qui était de cette ville, naquit l'an 504 avant
J.-C. Il a joui parmi ses contemporains d'une grande
réputation. Il avait écrit un poème
sur la nature, dont il reste un assez grand nombre de
fragments, et qui contenait des explications physiologiques
sur la formation des animaux. Un autre poème,
intitulé : Discours
médical,
avait été composé par lui. Malheureusement
ses écrits n'existent plus. Il se livra aussi
à l'étude de l'anatomie ; il décou-(p.17)vrit
le labyrinthe 1
de l'oreille qu'il regarde comme l'organe essentiel
de l'audition. Il attribuait la différence des
sexes à la prédominance du froid ou du
chaud dans les parents ; la ressemblance des enfants
avec l'un ou avec l'autre, à la plus grande quantité
de fluide séminal que fournis-
Page
50
sait le père
ou la mère. Suivant lui, la diminution de chaleur
produisait le sommeil, l'extinction causait la mort.
Il faut remarquer qu'Empédocle
connaît déjà
les qualités élémentaires, le doux,
l'amer, l'acide, le chaud, et qu'il les fait intervenir
dans sa physique. Il est cité dans le Traité de l'ancienne
médecine.
Cette citation manque dans toutes les éditions.
Je l'ai restituée, en comblant une lacune de
plusieurs lignes, à l'aide d'un manuscrit non
consulté.
Au ombre des contemporains
d'Empédocle est un médecin nommé
Acron, duquel on raconte qu'il chassa une peste d'Athènes,
en faisant allumer de grands feux dans cette ville.
La même fable a été répétée
pour Hippocrate.
Les livres d'Acron se sont perdus de très bonne
heure. Il paraît qu'il s'était tenu plus
que les autres à l'observation pure et simple
des phénomènes. C'était peut-être
ce qui l'avait mis peu en renom auprès des philosophes,
qui aimaient tant à donner et à recevoir
des explications. La secte empirique, née longtemps
après Hippocrate, a voulu se rattacher à
Acron. Suivant Suidas ,
il avait composé en dialecte dorien un livre
sur la nourriture salubre.
Une philosophie, dont Anaximène
de Milet est l'auteur,
place la cause de toutes choses dans l'air. Cette opinion
a (p.18) été
soutenue par Diogène, né à Apollonie
en Crète. On le dit contemporain d'Anaxagore,
par conséquent un peu antérieur à
Hippocrate. Cette considération est importante
; car elle détruit des préjugés
sur l'état des connaissances anatomiques, au
temps d'Hippocrate : Diogène
avait cultivé
l'anatomie, et Aristote nous a conservé un
long fragment de son Traité
de la nature,
dans lequel on trouve une description de l'origine et
de la distribution des veines. Diogène commence
sa description en les suivant par le ventre jusqu'à
la colonne vertébrale, et il dit positivement
que deux des plus grosses appartiennent au cœur. De
là il les conduit par le col jusque dans la tête.
Il connaissait en outre les ventricules du cœur ; il
plaçait dans le ventricule gauche le principe
directeur de l'âme ; l'on peut admettre (je le
montrerai dans le chapitre ix) que Plutarque
a rapporté textuellement ses paroles : il avait
donc une certaine notion des artères ; car il
appelle ce ventricule artériaque. Un point non
moins important des doctrines de Diogène
pour l'histoire
de la médecine à cette époque,
c'est l'influence qu'il attribue à l'air dans
sa théorie sur les êtres animés.
Suivant lui, c'est l'air qui est la cause de l'intelligence
chez l'homme, en se répandant dans le sang par
les veines de tout le corps ; suivant lui encore, il
est néces-(p.19)saire
à l'existence de tous les animaux, et les poissons
Page
51
même le respirent avec
l'eau ; idée fort juste, et qu'Aristote combat
à tort. Toutes ces opinions sur l'air se retrouvent
dans le livre hippocratique qui porte le titre des Airs 1.
Anaxagore
de Clazomène, qui fut le maître de Périclès
,
est un philosophe dont les doctrines ont laissé
des traces dans la collection hippocratique ; il supposait
que le fœtus mâle est toujours du côté
droit de la matrice, et le fœtus femelle du côté
gauche. Cette opinion a été admise par
Hippocrate
dans les Aphorismes. Anaxagore plaçait
la cause des maladies aiguës dans la bile. Voici ce qu'en dit Aristote2 : « Anaxagore
se trompe en supposant que la bile est la cause des
maladies aiguës, et qu'elle se jette, lorsqu'elle
est en excès, sur le poumon, les veines et les
plèvres. » On voit que la théorie
de la bile dans les maladies est antérieure à
Hippocrate ; on distinguait même déjà
la bile noire
de la bile jaune. Il est aisé de prouver
par le langage vulgaire combien ces idées étaient
répandues, et qu'elles tenaient à une
bien vieille médecine. Ainsi le poète
Euripide
dit : Est-ce que le froid de la bile lui tourmente la
poitrine3
? La bile
noire et la folie qui s'y rattachent sont dans Aristophane4.
Ces mots étaient donc familiers à l'oreille
des auditeurs, et ils appartenaient à des théories
tombées dans le domaine public. Il ne faut pas
s'étonner que toutes ces théories et tous
les termes qui en dépendent se trouvent dans
la collection hippocratique.
Démocrite
fut le plus savant des Grecs avant Aristote, et (p.20) universel
comme lui. Il avait, ainsi que l'on voit par le catalogue
de ses ouvrages, porté son attention sur les
points les plus importants. L'anatomie, la physiologie,
la diététique, les épidémies,
la fièvre, peut-être la rage et les maladies
convulsives, tout cela avait été traité
par lui. Si nous possédions ses livres, nous
nous ferions une idée très exacte de ce
que fut la médecine du temps et en dehors d'Hippocrate.
Quelques termes médicaux qu'il employait sont
venus jusqu'à nous. Le nom d'ulcère phagédénique
se trouvait dans ses écrits. Il a reconnu très
vaguement, comme Hippocrate, les pulsations des artères
; il les appelait battements des veines. Il avait beaucoup
écrit ; et Cicéron,
le comparant à Héraclite ,
dit : Héraclite fut très obscur, mais
Démocrite
ne l'est nullement. Il y en a qui trouvaient à
son style quelque chose d'élevé et de
poétique comme à celui de Platon
; Sextus Empiricus
le compare à
la voix de Jupiter ; Aristote donne les plus grands éloges
à sa profonde science. Il avait employé
des mots qui lui étaient propres, et qui trouvèrent
des interprètes dans Hegesianax et Callimachus.
Il avait
Page
52
composé différents
ouvrages sur la physiologie et la médecine. En
voici la liste :
1° De
la nature de l'homme ou de la chair,
2 livres ;
2° Des
humeurs ;
3°
Des pestes ou des maux pestilentiels, 3 livres. La perte de cet
ouvrage est très regrettable ; car les anciens
ne nous ont laissé que bien peu de choses sur
ce sujet, pour lequel nous devons plus aux historiens
qu'aux médecins. Démocrite
attribuait ces grandes épidémies à
une cause singulière, la destruction des corps
célestes et la chute des ato-(p.21)mes
qui les composaient, et qui étaient ennemis de
la nature humaine. Cette hypothèse n'a rien de
fondé en soi ; mais elle prouve que Démocrite
avait conçu dans toute leur importance les grands
phénomènes morbides auxquels il avait
consacré un ouvrage. On sait que beaucoup de
modernes les ont attribués à des mouvements
intestins du globe terrestre.
4°
Des causes touchant les animaux,
8 livres. Démocrite, dit Ammien Marcellin ,
27, 4, a examiné avec les anatomistes les entrailles
des animaux ouverts, pour enseigner de quelle manière
la postérité pourrait remédier
aux douleurs internes.
5° Le
pronostic ;
6° De
la diète, ou le livre diététique,
ou la sentence médicale
;
7° Sur
la fièvre et sur ceux qui toussent par cause
de maladie ;
8° Un livre sur l'Eléphantiasis, et un autre sur les maladies
convulsives. Ces ouvrages lui sont attribués
par Coelius Aurelianus
.
La revue rapide que je viens
de faire du peu que nous savons sur les travaux médicaux,
des anciens philosophes, montre qu'ils se sont occupés
de la dissection des animaux, de la recherche des causes
des maladies, et qu'ils ont essayé d'importer,
dans cette étude, des doctrines correspondantes
à celles qu'ils admettaient dans leurs philosophies.
Ils ont plus cultivé le côté général
que le côté particulier de la médecine.
Mais c'est cette invasion même de la philosophie
dans tous les arts qui forma le premier fonds de l'esprit
scientifique parmi les Grecs ; et puis, il est aisé
de voir que les philosophes ne s'étaient pas
bornés à de pures théories, et
qu'ils avaient ports, aussi loin qu'il était
possible alors, le soin de l'observation directe et
de la recherche des faits. Leurs écrits (p.22) avaient
déjà popularisé une foule de notions
médicales; et l'on pourrait montrer, le livre
d'Hérodote
à la main,
historien et tout-à-fait étranger à
l'art de la médecine, que la nomenclature des
maladies existait avants Hippocrate
et ses disciples, que lui
Page
53/23
et eux n'y
ont rien innové, et qu'ils se sont servis d'une
langue faite par d'autres que par eux.
Le troisième élément
de la médecine grecque à cette époque
est dans les gymnases
et dans les travaux de ceux qui dirigeaient ces établissements.
Les Égyptiens
avaient défendu la gymnastique de la palestre
; ils pensaient que des exercices quotidiens de ce genre
procuraient aux jeunes gens, non pas la santé,
mais une force peu durable et qui les laissait très
exposés aux maladies1.
Les Grecs, au contraire, se livrèrent
avec passion à la gymnastique.
Des établissements étaient ouverts où
l'on enseignait les divers exercices. Les hommes qui
y étaient préposés agrandirent
insensiblement le cercle de leurs connaissances et de
leurs pratiques. Ils s'habituèrent à traiter
les fractures
et les luxations qui survenaient fréquemment
dans les palestres. Iccus de Tarente 1 donna
une attention particulière au régime alimentaire
; et cette partie, étudiée avec soin,
prit un grand développement. On rechercha quels
étaient les aliments qui contribuaient le plus
à l'acquisition des forces, on distingua les
modifications qu'il fallait apporter dans la nourriture
suivant l'âge et la constitution ; on s'habitua
à reconnaître les changements qu'amène
dans l'apparence extérieure un écart du
régime habituel. En un mot, l'état de
santé fut l'objet d'une observation-minutieuse
qui, on peut le dire, ne contribua pas peu à
enrichir la médecine grecque et à lui
donner le caractère d'unité et de généralité
qui la distingue. (p.23)
Ce n'est pas tout : Hérodicus
de Selymbria (on ne sait si c'est le même que
Hérodicus, frère de Gorgias )
appliqua la gymnastique au traitement des maladies.
Jusque-là cet art n'avait été cultivé
que pour former des militaires ou des athlètes.
Hérodicus, qui était lui-même maître
de gymnastique et d'une constitution maladive, entreprit
de se fortifier par l'application régulière
des exercices. Il faisait faire de très longues
courses à ses malades ; par exemple, il les faisait
aller d'Athènes à Mégare et revenir
sans se reposer. C'était surtout au traitement
des maladies chroniques qu'il se consacra. Il paraît
que les asclépiades
ne traitaient guère que les plaies et les maladies
aiguës. C'est du moins ce que dit Platon
; et en reprochant à Hérodicus de prolonger la vie des gens
valétudinaires et de leur faire ainsi une
longue maladie, au lieu de les laisser à la nature
qui les délivrerait promptement de leurs maux
par la mort 1,
il lui adressa un blâme là où nous
ne pouvons voir qu'un éloge. Cette application
de la gymnastique
au traitement des maladies eut une grande influence
sur la médecine antique. Beaucoup de malades
désertèrent les Asclépions
Page
54
et allèrent
se faire soigner dans les gymnases
; et les médecins grecs prirent l'habitude d'étudier
les effets des exercices, de les admettre dans le cercle
de leur thérapeutique, et de les prescrire d'une
manière conforme à l'art dans une foule
de cas.
Telles sont les trois sources
(temples d'Esculape,
écoles philosophiques et gymnases)
qui alimentèrent la médecine dans le courant
du 8e siècle avant J.-C. Dès cette époque,
on le voit, il existait une masse considérable
de notions et de travaux très divers ; travaux
et notions qui concouraient pour fournir à la
fois l'étude de la maladie dans les Asclé-(p.24)pions, l'étude de la santé
dans les palestres,
et l'esprit de généralisation dans les
livres des philosophes. Dans ce concours est tout le
fond de la médecine
telle qu'elle se développa sous Hippocrate,
ses contemporains et ses disciples. Cnide note les symptômes,
et y attache tant d'importance que de chacun, pour ainsi
dire, elle fait une affection à part ; Cos les examine sous le point
de vue particulier des indications qu'ils donnent sur
le progrès de la maladie, et sur les efforts
de la nature ; Crotone et Agrigente dissèquent
les animaux. Les philosophes introduisent dans la médecine
les systèmes variés qu'ils se sont faits
sur l'ensemble des choses. L'eau, l'air, le feu , la
terre, servent à expliquer la composition du
corps, comme celle du monde. Les qualités élémentaires
prennent place à côté des éléments
et l'heureux mélange des uns ou des autres constitue
la santé. Ces conceptions se lient avec une facilité
merveilleuse aux considérations sur l'influence
des saisons; et l'étude de la gymnastique,
notant l'action, sur le corps humain, de l'alimentation
et des exercices, fournit des données positives
qui unissent la santé à la maladie. Ainsi
venait à maturité un grand système
de médecine où toutes les parties se tiennent
par une connexion intérieure, où toute
la science de la maladie est comprise dans la considération
simultanée des influences générales
du monde extérieur, des influences particulières
du régime, et des lois qui régissent les
efforts et les crises de la nature, système qui
est dominé lui-même par les idées
générales que les philosophes avaient
mises dans le domaine commun. J'ai fait d'avance une
esquisse de la doctrine d'Hippocrate ; car son mérite
dans la science, la raison du haut rang qu'il y occupe,
la cause de la puissance qu'il y a exercée, tout
cela est dans la force des anciennes doctrines qu'il
embrassa, développa, soutint avec talent, employa
avec bonheur et transmit pleines (p.25) de
vie, de force et de profondeur à la postérité.
Une illusion , causée par l'éloignement
des temps, a fait souvent regarder Hippocrate comme
le fondateur de la médecine ; il n'en a été
que le conti
Page
55
nuateur, comme
on le voit par ce qui précède, mais un
continuateur capable de féconder ce qui existait
avant lui. En lisant ses écrits on reconnaît
que les doctrines qu'il y expose ne sont point de sa
création, et partout on sent qu'il pose le pied
sur un terrain ancien et solide.
Cette vieille médecine,
plus vieille qu'Hippocrate,
n'était donc constituée à la fois
par l'empirisme des prêtres-médecins et des gymnastes,
et par les doctrines des philosophes qui avaient commencé
l'étude de la nature. C'est là ce qui
en fit, dans ce temps reculé, la force et l'originalité
; c'est là ce qui, tout en l'attachant à
l'expérience et à la réalité,
la pénétra de ce souffle scientifique
qui porta les Grecs si loin et si haut. Sans doute l'empirisme
des Asclépions et la philosophie des sages
venaient d'une source commune et sortaient l'un et l'autre
de l'antique Orient
; mais ces deux éléments ne s'étaient
pas encore rencontrés de la même façon.
Sans doute les doctrines primitives des plus anciens
philosophes grecs tiraient leur origine des mêmes
temples qui avaient donné le modèle de
la médecine sacerdotale des asclépiades
; mais en Egypte
tout était resté séparé
et immobile, en Grèce
tout se mêla et devint vivant. Les vieilles doctrines
cosmologiques entrèrent dans l'étude empirique
des faits et y portèrent le sceau de la recherche
scientifique ; les faits à leur tour et l'empirisme
entrèrent dans ces doctrines, en déplacèrent
incessamment l'horizon, et leur donnèrent peu
à peu des assises devenues ainsi inébranlables.
L'intervalle où cette métamorphose s'opéra
est important non seulement dans l'histoire de la médecine,
mais aussi dans l'histoire de l'humanité tout
entière ; car, à vrai dire (p.26) c'est
là que le temps antique finit, et que le temps
moderne commence ; l'ère de l'antiquité
se ferme quand les choses sortent des castes et des
temples.
Fin du chapitre
I.
Page 57/27 EO
Chapitre
II,
Vie
d'Hippocrate
Il
nous est rappelé en note de bas de page, t. 1er
p. 96 que le traité Des fractures et Des
articulations ont parfois été réunis
en un seul sous le titre De l'officine du médecin.
Rappelons que les noms de ces ouvrages sont postérieurs
à l'auteur lui-même.
Mettre les numéros de pages devant
les titres.
Bibliographie
d'Hippocrate :
page 107 (sans les notes). Corpus hippocraticus ou Hexacontabiblos ensemble disparate de divers
auteurs dont Hippocrate qui s'exprimait
alors en dialecte ionien .
Œuvres
d'Hippocrate
–
Les Aphorismes (La
8eme section et l'Opuscule
des jours critiques
ont été retirée et
rendus au traité des Semaines.)
p. XII
t.1er, (livre écrit
par Hippocrate p. 293 p. 323 selon Littré).
–
De l'ancienne médecine (Peri arkaiês iatrikês
(Theil le présente t.1er, p. 117. C'est un texte
de philosophie médicale, pas un traité),
(livre écrit par Hippocrate p. 293 et p. 320 selon Littré qui l'analyse t. 1er, Ch. XII
p. 292).
–
Le Serment d'Hippocrate, (livre écrit par Hippocrate
p. 293)
–
La loi, (livre écrit
par Hippocrate ou tout au moins de son époque
p. 293 selon Littré & p. 343/444 il s'adresse
aux médecins périodeutes)
–
Préceptes
–
De l'officine
–
Du médecin
–
Pronostic, (livre
écrit par Hippocrate p. 293 et p.
320)
–
Prénotions
coaques (antérieure
à Hippocrate, en provenance directe
des temples des Asclépios, décrit
p. 350 t.1er) 1er
livre des Prédictions, idem, rejeté
par la plupart des critiques anciens.
–
Prorrhétique I
(sur II volumes séparés parce
que rien en communs, explication p. XIII t.1er)
–
Épidémies oeuvre composée
de 7 livres (ch. XI, p. 276
voir aussi p. 324). I et III (séparés des 5 autres,
parce qu'ils ont un caractère différent
et qu'ils sont assez sûrement d'Hippocrate)
p. XIII, (livres écrit par Hippocrate
p. 293 selon Littré)
–
Du
régime dans les maladies aiguës.
Appendice. (livre écrit
par Hippocrate t. 1er, p. 293 selon Littré, il en parle p. 327 en détail)
–
Des airs, des eaux et des lieux, (livre écrit par Hippocrate
p. 293, idem p. 332 t.1er)
–
De la maladie sacrée
–
Des articulations, (livre écrit par Hippocrate
p. 293 selon Littré, idem p. 333, t. 1er)
–
Des fractures, (livre
écrit par Hippocrate p. p. 293 selon Littré)
–
Mochlique
–
Des plaies de la tête,
(livre écrit par Hippocrate p. 293 selon Littré, idem page 341/343 il explique
pourquoi)
–
Épidémies II, IV, V,
VI et VII (peut-être de Dracon ou
Thessalus (voir
p. 159, t. 1er)
Œuvres
qui sont probablement d'Hippocrate
–
Des plaies
–
Des fistules
–
Des hémorroïdes
–
Du fœtus de sept mois
–
Du fœtus de huit mois
–
De la bienséance |
Œuvres
de l'École de Cos
–
De la nature de l'homme (contient des fragments de
son gendre, Polybe) p. 46 t.1er voir aussi
p.p. 264, Littré en parle plus longuement
345/149. (A pu contenir Du régime des gens
en santé avec pour titre Nature de l'homme
et sur le régime).
–
Du régime des gens en santé
(Attribué
à divers auteurs voir p. 159, t.
1er et peut-être à Polibe son
gendre, p. 345, et de façon descriptive
page 349/). (A pu être une partie
du précédent.)
–
Des maladies I (sur
IV volumes séparés, explication
p. XIII
& p. 159).
–
Des vents
–
Des lieux dans l'homme
–
De l'art (Theil, t.1er, p. 117 dit que rien n'autorise
à penser qu'il soit d'Hippocrate)
–
Du régime (en 3 livres attribué
à divers auteurs voir
p. 159, t. 1er)
–
Des songes
–
Des humeurs
–
De l'usage des liquides
–
Prorrhétique II
(sur II volumes séparés parce
que rien en communs, explication p. XIII t.1er)
Œuvres
que l'on peut attribuer à l'École de CNIDE
–
Des maladies II et III (sur
IV volumes séparés, explication
p. XIII
t.1er) (Le livre 2
contient un fragment d'Euryphon) p.
47 t.1er.
–
Des affections internes
–
Des maladies des femmes
–
Des femmes stériles
–
De la nature de l'enfant (Galien
dit qu'il serait de Polibe, p. 159)
–
Des maladies IV (sur
IV volumes séparés, explication
p. XIII)
–
Des maladies des jeunes filles
–
De la génération
–
De l'excision du fœtus
–
De la Superfœtation
–
De la nature de la femme
Œuvres
postérieures à Hippocrate
ou dont l'origine ne peut être déterminée.
–
Du cœur
–
De l'aliment
–
Des chairs
–
Des glandes
–
De la dentition
–
De la vision
–
Des Semaines
–
De l'Anatomie
–
De la nature des os
("traité qui n'en est pas un"
contient des fragments de Syennésis
de Chypre) p. 47 t.1er
–
Des Crises
–
Des jours critiques
–
Lettres, Décrets et Harangues |
–
De l'ancienne médecine. fac
simile. page
121/137 Dans l'EO 571
Page 123 t. 1er. fac.
paragraphe 4. EO p.
579 & 581. Ici nous avons
une entrée sur la gymnastique)
"Si l'on prétend que ce n'est pas là
un art, j'y consens. En effet, là où il
n'y a pas d'ignorant, là où tous sont
entendus à cause de l'usage et de la nécessité,
on ne peut dire qu'il y ait d'artistes (Médecins). Et cependant tout cela
forme une invention importante et pleine d'art et d'observation.
Encore aujourd'hui, ceux qui s'occupent de la gymnastique
et du développement des forces ajoute sans cesse
quelque nouveau perfectionnement, cherchant, d'après
la même méthode, quelles boissons et quels
aliments, digérés le mieux, accroissent
le plus les forces."
Page 126 t. 1er. fac.
paragraphe 9. EO p.
589 & 591. Sur les mauvais médecins
(charlatanisme
et une référence à la sensation
du corps). "Ainsi
la médecine a bien plus d'une face, et exige
une précision de plus d'un genre. Il faut donc
se faire une mesure ; mais cette mesure, vous ne la
trouverez ni dans un poids ni dans un nombre où
vous puissiez rapporter et vérifier vos appréciations
; elle réside uniquement dans la sensation
du corps. C'est un travail
que d'acquérir assez de précision dans
le jugement pour ne se tromper que peu en-deçà
ou au-delà ; et je suis plein d'admiration pour
le médecin qui ne commet que de légères
erreurs. Mais une habilité consommée se
voit rarement. La plupart des médecins ressemblent
aux mauvais pilotes. Tant que le calme règne,
leurs fausses manoeuvres ne sont qu'apparentes ; mais
viennent un violent orage et un vent impétueux,
ils laissent périr le bâtiment, et il n'est
personne qui ne reconnaisse, dans le désastre,
leur maladresse et leur ignorance. Il en est de même
des mauvais médecins, qui forment le plus grand
nombre : tant qu'ils traitent des maladie peu graves,où
les fautes les plus grossières ne pourraient
produire de sérieux accidents (et il faut savoir
que les maladies légères sont plus fréquentes
que les maladies dangereuses), leurs bévues ne
sont pas visibles pour le vulgaire ; mais qu'il leur
échoie une affection grave, violente, redoutable,
alors leurs faux pas se voient ; leur inhabilité
se manifeste ; car la punition des fautes du pilote
et du médecin ne se fait pas attendre, elle vient
aussitôt."
Puis
il aborde la nutrition.
Page 135 t. 1er. fac,
paragraphe 22. EO p.
629.
"De
même, les ventouses,
qui, larges au fond, se rétrécissent vers
le goulot, ont été imaginées pour
attirer les humeurs hors des chairs."
|