Spartacus est à l'origine
un livre écrit par l'écrivain américain, Howard
Fast, né à New York en 11 novembre
1914 où il mourra en 2003. Edité dans les années
cinquante, ce livre sera adapté au cinéma dix ans
plus tard par Dalton Trumbo et dont la réalisation sera confiée
à Stanley Kubrick. Dès sa sortie, le film rejoindra
la liste noire du cinéma établie par le maccarthysme
et quelques scènes seront censurées dont un dialogue
de prostitution
homosexuelle entre deux hommes, ayant pour toile de fond, un massage...
Le synopsis de Spartacus
de 1960 : 73 avant J.C. Alors que la République romaine
est en pleine décadence, en proie aux rivalités des
ambitieux Crassus,
Pompée
et déjà le jeune César,
l’esclave Spartacus s’échappe avec ses compagnons d'une école
de gladiateurs et devient le chef d’une révolte d’esclaves
qui menace Rome. Crassus veut exploiter la situation pour devenir
le maître de la République, tandis que le sénateur
Gracchus essaie de pousser son protégé, César,
pour contrer Crassus.
La première entrée
sur le massage
se passe à l'arrivé de Spartacus devenu esclave à
l'école de gladiateur pour laquelle il a été
acheté. Son nouveau propriétaire leur explique comment
cela va se passer pour eux. C'est la mort en combatant dans l'arène
mais cela seulement lorsqu'ils auront été vendu. Pour
l'instant il s'agit de les former avec pourtant quelques avantages
en nature : Un gladiateur est une sort d'étalon, il demande
milles petits soins, donc vous serez huilé, baigné,
rasé, massé,... (10mn 3s).
C'est dans ce scénario,
que nous découvrons la bi-sexualité de Marcus Licinius
Crassus que joue Laurence Olivier, mise en lumière lors de
son bain, quand il demande à son
jeune esclave, Antoninus
joué par Tony Curtis, de le rejoindre avec un siège...
Antoninus ne porte à la taille un short court, il
prend un tabouret, descend avec dans le bassin, le dépose
en son centre, Crassus s'y assied. La scène
est lointaine, filmée en surplomb, nous la voyons d'ailleurs
derrière un voile qui sépare les thermes des appartements
privés de Crassus. Antoninus entreprend de masser
le dos de son maître alors que s'engage une étrange
conversation sur les vertus de la bisexualité
dont les sexes se font huîtres pour parler de celui des femmes
et escargots pour imager celui des garçons. Cette scène
est d'autant plus mythique qu'elle est un marqueur fort d'homosexualité
au cinéma, faisant de cette pratique montrée ici comme
tout-à-fait établie dans l'antiquité, la contestation
de son interdiction aux USA dans les années soixante. Le
dialogue est extrêmement bien amené sous les hospices
de deux symboles puissants de l'intimité, le bain et le massage.
Dès lors, ce film devient particulièrement important
aussi bien dans l'histoire de la prise de parole publique de l'homosexualité
comme dans l'histoire du massage au cinéma dans la
mesure où il transpose, par le biais d'un focus historique,
le rapport de force entre maître/massé et masseur/soumis
au désir qui s'exprime par une exigence de prostitution.
La lecture de cette scène devient alors aussi bien cinématographie
et revendication homosexuelle que masso-pratique et confrontation
aux sexualités.
Crassus
– Vas me chercher un siège Antoninus
- Mets-le dans l'eau Antoninus descend dans le bassin, le pose
au milieu _ Là ça ira Crassuss'y
assied tandis qu'Antoninus lui masse le haut du dos avec
de l'huile qu'il verse d'une fiole de verre. Crassus–
As-tu jamais volé, Antoninus ? Antoninus
– Non, maître. Crassus – As-tu jamais
menti ? Antoninus – Pas, si je peux l’éviter. Crassus – As-tu jamais, déshonoré
les dieux ? Antoninus – Non, maître. Crassus – Te réfrènes-tu de ces vices
par respect des, vertus, morales ? Antoninus
– Oui, maître. Crassus – Manges-tu des
huîtres ? Antoninus – Lorsque j'en ai,
maître. Crassus – Manges-tu des escargots
? Antoninus – Non, maître. Crassus
– Considères-tu que c'est moral de manger des huîtres
et immoral de manger des escargots ? Antoninus
– Non, maître. Crassus – Bien sûr
que non. Tout est une question de goût, n'est-ce pas ? Antoninus – Oui, maître. Crassus
– Et le goût n'est pas semblable à l'appétit,
et donc n'a aucun rapport avec la moralité, n'est-ce pas
? Antoninus – Cela pourrait sans doute se discuter,
maître. Crassus– Ça suffit. Mes
vêtements, Antoninus. Ils sortent tous les deux du bain,
Antoninus en tête afin d'envelopper son maître d'une
toge. Sur son épaule Antoninus lui met une étole.
– Pour satisfaire mes goûts, il me faut des huîtres
et des escargots. Antoninus écarte le voilage afin de
laisser le passage libre à Crassus qui apparaît dans la
pièce attenante à ses appartements. Crassus–
Regardes Antoninus. Crassus se dirige vers le balcon duquel
on voit, de l'autre côté du Tibre, passer une
garnison romaine, capée de pourpre. Crassus
– De l'autre côté du fleuve il y a quelque chose qui
vaut la peine d'être vu. – Là, mon garçon,
[Crassus se retourne en direction de son esclave] c'est Rome…, la
puissante, la majestueuse…, la terrible cité de Rome. Le
colosse qui domine le monde du levant au couchant. Nul ne peut résister
à Rome, personne, aucun homme et aucune nation… et moins
encore, un jeune garçon. [Crassus se retourne de nouveau
en direction du paysage et poursuit] – Il n'existe qu'une façon
de traiter avec Rome Antoninus, il faut la servir, il faut courber
la tête devant elle, ramper à ses pieds, il faut l'aimer.
Ais-je raison Antoninus ? [Lorsque Crassus se retourne en attendant
la réponse, son esclave a disparu.] – Antoninus ? Antoninus
? La scène s'arrête là.
La seule alternative d'Antoninus c'est la fuite, le "Ais-je
raison Antoninus ?" de son maître ne laisse la place
qu'à une affirmation contrainte et non pensée. Le
stade suivant ne pouvait être pour cet homme que l'acquiescement
ou la fuite en guise de rébellion.
A partir de cette scène
qui découle d'un massage,
Antoninus décide de
fuir le service de son maître. Il est évident que dans
l'antiquité les patriciens romains propriétaires de
leur maison comme de leurs esclaves ne s'embêtaient pas d'autorisation
pour abuser de leur personnel qu'ils achetaient en conséquence.
Il se faisaient servir, habiller,
déshabiller, masser, laver
et selon les orientations, la sexualité
était facile, obligé et d'autant plus exacerbée
que ces soldats partaient régulièrement en mission
et risquaient à tout moment d'être tués. C'est
ce qu'il se passe ici. Rome se lève contre la révolte
des esclaves menée par Spartacus, ancien gladiateur qui s'échappe
avec une centaine d'esclaves et monte une armée pour s'opposer
à la rudesse de leurs maîtres. Crassus doit partir
ce qui pourrait expliquer l'élégance de l'approche. L'homosexualité
qui n'était pas condamnée répondait à
des codes dont la sodomie
n'était pas la moindre de leurs transgressions et méritait
quelques discrétions. Le citoyen romain pouvez abuser
aussi bien des femmes, des hommes que des enfants de sa maison mais
il devait toujours rester le dominant. Pas question de sodomie venant
du personnel sur quelque membre de la famille et tout particulièrement
sur les mâles qui devaient rester actifs en toute circonstance.
Cela n'empêchait pas qu'elle ait pas lieu, mais il ne fallait
pas que cela se sache et ceux dont l'homosexualité était
de notoriété publique, faisaient l'objet de railleries
permanentes, de graffitis sur les murs de Rome et même de
pamphlets lorsque le personnage était important. Par
contre, historiquement, alors que les romains déambulaient
la plus part du temps nus dans les thermes publics, après
avoir remis leur toge aux Apodytaires, vestiaires
tenus par des esclaves appelés Capsaires,
il est étonnant de voir qu'un romain disposant de ses propres
bains, laisse son esclave habillé
sachant qu'il le convoite. Les pauses où Crassus lui-même
est habillé dans son bain ne répond en fait qu'à
la censure mais dans le film, il est bien nu
comme nous le voyons sur une autre photo. Les esclaves étaient
néanmoins coûteux et selon les périodes et la
richesse de la famille qui les détenait, ils restaient bien
traités notamment lorsqu'ils étaient érudits
comme beaucoup de grecs très prisés pour occuper le
poste de précepteurs des jeunes romains. Antoninus est particulièrement
instruit, en fait il est poète ce qui explique que s'il répond
avec déférence à l'autorité qui le gouverne, il
se méfie de ce qu'il répond et parle avec mesure.
Reprenons.
Crassus fait descendre son esclave
dans son bain et lui demande de venir avec un siège. Il serait
intéressant de savoir les sources d'inspiration de Howard
Fast mais ce dont on peut déjà en déduire
c'est que nous avons là un massage assis... Crassus
ne prend pas de front son esclave mais le ménage considérablement
en abordant l'homosexualité
qu'il considère comme normale, sur le registre du défaut.
En effet, il commence par lui demander s'il n'a jamais volé,
menti, (sans doute pour s'assurer de la véracité de
la réponse que lui fera Antoninus
et la réponse est déjà prudente) "Pas,
si je peux l’éviter". - As-tu jamais, déshonoré
les dieux" et après la même réponse laconique
et obéissante de l'esclave il poursuit par : "Te réfrènes-tu
de ces vices par respect des, vertus, morales ?". Antoninus
répond que oui, il respecte ce qui doit être respecté
parmi les vertus comprises comme telles à l'époque.
C'est là que le piège se referme lorsqu'il axe l'échange
sur les mœurs... Crassus – Manges-tu des huîtres
? sous-entendu, aimes-tu les femmes ? Antoninus
– Lorsque j'en ai, maître. La réponse est ambiguë
et laisse penser que lorsqu'il en à il en mange, certes,
mais que cela n'est pas être sa priorité, alors qu'un
enthousiasme sincère et spontané aurait de fait laisser
présager la place congrue laissée à tout autre
alternative. – "Lorsque j'en ai, maître" mais
si je n'en ai pas, je pourrais me contenter des attraits de
l'autre sexe... En même temps, sa réponse se double
d'une logique assez implacable, "lorsque je n'en ai pas je
ne peux de fait pas en manger"... Crassus poursuit donc sur
cette ouverture : Crassus – Manges-tu des escargots
? Autrement dit, "Aimes-tu les le sexe des hommes ?" Antoninus – Non, maître. Crassus le coince
ici Crassus – Considères-tu que c'est
moral de manger des huîtres et immoral de manger des escargots
? En un mot, l'homosexualité te semble-t-elle immorale
? Antoninus – Non, maître. Antoninus
ne peut répondre autre chose mais en disant cela il valide
le fait que l'homosexualité
et sa pratique ne se situe donc pas en contradiction avec les Dieux
et la moralité, d'ailleurs, il referme la nasse sur son esclave
en rajoutant comme entendu : – Bien sûr
que non. Tout est une question de goût, n'est-ce pas ? Antoninus – Oui, maître. Crassus
– Et le goût n'est pas semblable à l'appétit,
et donc n'a aucun rapport avec la moralité, n'est-ce pas
? Crassus lui dit très finement que l'on peut avoir le
goût des homme sans en avoir l'appétit, c'est-à-dire
la pratiquer sans l'aimer... Antoninus se rebiffe mais il est
déjà trop tard, le piège s'est refermé
sur lui Antoninus – Cela pourrait sans doute
se discuter, maître. Il lui répond que son affirmation
pourrait être contestée mais Crassus l'entraîne
au fond de sa logique de dominant en interrompant l'échange Crassus– Ça suffit. Mes vêtements,
Antoninus. et il rajoute que pour son bon plaisir : – Pour
satisfaire mes goûts, il me faut des huîtres et des
escargots. Autrement dit, il me faut des femmes mais il me faut
aussi des garçons, ce n'est pas une préférence
mentionnée dans une conversation entre égaux, c'est
un ordre qui se traduit par, "tu es à mon service et
par conséquent, pour me satisfaire, il faut te donner complètement,
que tu en aies ou non l'appétit, dès lors que j'en
ai le goût". Ce qu'il avait tenter d'obtenir par la persuasion
il l'exige par la métaphore et ce qui était une formulation
élégante au départ devient un ultimatum
à peine déguisé :
Crassus – De
l'autre côté du fleuve il y a quelque chose qui vaut
la peine d'être vu. – Là, mon garçon, [Crassus
se retourne en direction de son esclave] c'est Rome…, la puissante,
la majestueuse…, la terrible cité de Rome. Le colosse qui
domine le monde du levant au couchant. Nul ne peut résister
à Rome, personne, aucun homme et aucune nation… et moins
encore, un jeune garçon. [Le message est clair, Rome
c'est moi en tant que patricien romain et ce qui vaut la peine d'être
vu, ce qui domine le monde, ce qui suffit à susciter la terreur
ne peut être contesté dans ses désirs. Nul
ne peut résister à Rome, et donc à moi, Crassus,
personne, aucun homme et nous montons dans la hiérarchie
de l'évocation des forces croissante, aucune nation… C'est
juste après nation que Crassus donne le coup de grâce
en regardant Antoninus dans les yeux, si aucune nation ne peut résister,
comment un jeune garçon pourrait-il me résister alors
qu'il est à mon service ? [Crassus se retourne de nouveau
en direction du paysage et poursuit] – Il n'existe qu'une façon
de traiter avec Rome Antoninus, il faut la servir, il faut courber
la tête devant elle, ramper à ses pieds, il faut l'aimer.
Ais-je raison Antoninus ? [Lorsque Crassus se retourne en attendant
la réponse, son esclave a disparu.] – Antoninus ? Antoninus
? Il exige ainsi que son esclave lui cède sans résistance,
qu'il traite avec lui, même si l'irrédentisme de ce
romain vise à l'invasion de son propre corps par le sien.
Il faut qu'il le serve, qu'il courbe la tête, qu'il rampe
à ses pieds, qu'il l'aime enfin, le don doit être total.
Il devenir son amant. A cette manifestation de force, l'esclave,
le soumis n'a que l'impuissance de laisser faire ce que dans sa
nature même il exècre comme tant d'autres avant lui,
et ce, jusqu'aux nation, violées, comme lui sera violé, à
ceci près qu'Antoninus répond par la résistance.
Que personne, qu'aucune nation ne puisse désobéir
à Rome ne signifie pas qu'il s'en interdise la liberté
individuelle de lui dire non. Ne pas attendre la fin de la réflexion
de Crassus, ne pas l'écouter jusqu'au bout c'est lui couper
la parole, c'est répondre au sens qu'on ne partage plus mais
qu'on impose, par l'absence qu'on inflige en indiquant que même
Rome ne peut prétendre à tout de tout le monde.
La métaphore que ce romain
utilise dans cette période près-chrétienne
est la même que celle que nous rencontrons dans le massage
au quotidien. C'est l'illustration de ce rapport de force permanent
et la place de l'intimidation et l'expression récurrente
du désir de celui qui règne. Confronté à
la sexualité, à celui qui
a le pouvoir de l'argent, quelle attitude prendre ? Le risque de
la résistance ou l'apathie de la soumission ? Cette scène
est une allégorie de la prostitution et elle est d'autant
plus intéressante qu'elle naît d'un massage,
d'une décente dans le bain de son maître pour lui masser
le dos, pour le nettoyer d'une éponge, pour le satisfaire.
Seulement obéir aux contraintes de l'esclavagisme ou aux
nécessités qu'implique sa fonction ne signifie pas
renoncer à toute possession de soi-même. La fuite comme
symbole de refus, de perte de position est ici préférée
à la prostitution comme renoncement de son identité.
Se donner sexuellement à son maître comme à
son client en massage, c'est abandonner au désir de
l'autre l'infime espace de liberté que renferme le prodigieux
élan qu'impulse le corps lorsqu'il se donne à l'intime
de celui ou de celle qu'il à choisi.
Le droit que se réserve
chaque Être à se donner, implique le combat qu'il doit
mener pour que ce don découle bien de sa seule volonté
et soit proportionnel à l'énergie qu'il est prêt
à y mettre pour le défendre afin que l'implication,
la force de cette mise en commun volontaire d'une partie de sa souveraineté
soit un cadeau et non une spoliation. L'abandon est l'antithèse
du don, c'est la renonciation, la mort de la volonté dont
la passivité du oui est l'acte d'enfermement. Être
sous influence n'est pas l'expression de l'inexistence mais de l'acceptation
d'une partition de ses prérogatives dont l'esclavage est
la renonciation à les faire valoir. Ici il s'agit bien du
choix et de la place que chacun s'octroie face à l'autorité
brutale.
Être sous influence n'est
pas l'expression de l'inexistence mais de l'acceptation d'une partition
de ses prérogatives. Ici il s'agit bien du choix et de la
place que chacun s'octroie face à l'autorité brutale.
Antoninus choisi de fuir pour mieux se révolter et rejoindre
le soulèvement de Spartacus alors que Rome et son maître
s'apprête justement à combattre. Ce n'est donc pas
une évasion sans but mais un refus d'appartenir à
ceux qui semblent tout-puissants. Dire non c'est se réserver
une marge qui ne soit pas sous influence et de laquelle je suis
le seul décisionnaire.
Nous avons deux autres scènes
de massage, une avant celle du bain, Spartacus devait être
exécuté pour son insubordination mais un marchand
l'achète pour le revendre comme gladiateur. Arrivé
à prison où Spartacus sera formé, l'entraîneur
leurs dit qu'ils seront nourris, qu'ils seront massés
et auront des femmes. Le masse ainsi présenté
peut dès lors être considéré comme une
forme de massage
morbide que nous nous évertuons à traquer
au CFDRM. Nous avons une scène plus légère
mais tout aussi paradoxales dans Deux
heures moins le quart avant J-C.