Masser
le sexe d'un défunt
Par
Alain
Cabello-Mosnier. P/O le CFDRM
Libre de droits non commerciaux.
Rédigé
à Paris le : dimanche, 19 juin 2011
Nous
avons sur cette page un très bel exemple de manifestation
de sexualité
occidentale contemporaine passant par le massage
d'un sexe
de gisant. Les exemples ne sont pas rares dans l'histoire
ou telle dépouille, devenue symbolique se charge
de pouvoirs aphrodisiaques mais dans le cas présent
il se pose l'étonnante question de la moralité
de l'action. C'est en 2004 qu'une dépêche
de l'AFP déclare que "Yves Contassot, adjoint
(Verts) du maire de Paris chargé des jardins,
dont dépendent les cimetières, doit se
rendre vendredi au Père-Lachaise, devant la tombe
de Victor
Noir, qui fait l'objet d'attouchements jugés
inappropriés par ses services... Mais de quoi
s'agit-il ? De l'étrange sort qu'il est advenu
à Yvan Salmon, plus connu sous son nom de plume
au journal La Marseillaise, Victor Noir, journaliste
de 22 ans, tué au pistolet en 1870 par le Prince
Pierre Bonaparte, neveu de Napoléon Ier et cousin
de Napoléon III alors au pouvoir sous la Restauration,
pour être venu lui demander des comptes au nom
d'un de ses confères avec lequel il avait eu
maille à partir. L'affaire de ce duel avait
à l'époque fait grand bruit et participé
à discréditer Napoléon III qui
perdait, la même année, la guerre qu'il
avait déclarer à la Prusse.
Le
Prince fut bien sûr acquitté mais le scandale
ne s'arrêta pas là. Transféré
au cimetière du Père-Lachaise à
Paris, le caveau fut recouvert d'un gisant de bronze,
signé par le sculpteur Aimé Jules Dalou,
également à l'origine du "triomphe
de la République" Place de la Nation à
Paris, sensé représenté le garçon
lors de sa mort, _donc, de sa dernière entrevue
avec le Prince_ chemise déboutonnée, pantalon
ouvert à la ceinture et sexe en érection
que des milliers de mains viennent, aujourd'hui encore,
caresser, masser, afin de capter l'énergie
sexuel de ce jeune Priape.
L'histoire
ne nous dit pas si il était vraiment venu cherché
réparation et ce qu'il s'est passé, pour
qu'il soit ainsi débraillé, mais il est
certain que cette déculotté met le Prince
lui-même, et ce pour l'éternité,
en "fâcheuse posture," faisant de l'homme
qu'il a assassiné celui dont on veut toucher
l'accoutrement bien suspect lorsque l'on vient chercher
réparation pour l'honneur d'un autre. Si comme
le disait Georges Brassens "même mort il
bandait encore" il n'est pas anti-bonapartiste
de penser que ce n'est pas la main dans son plastron
que ce Napoléon devait avoir ce jour-là
mais bien ailleurs. Gare au gorille ? Nous n'en sommes
pas vraiment éloigné. Le bronze fit scandale
mais la réputation de ses formes de garçons
dépassèrent vite en réputation
le souvenir même des moments de gloire du jeune
homme. La patine persiste à ne laisser aucun
doute sur l'actualité du nombre de visiteurs
qui se presse "pour la forme et pour le geste"
bien sûr. Rappelons que nous nous situons dans
un cimetière, c'est-à-dire dans un sanctuaire,
rassemblant toutes les confessions sur quelque chose
d'aussi universelle que la peine. L'esprit cabotin du
peuple ne cesse de surprendre et on ne peut demander
aux jeunes générations d'être aussi
empruntée vis-à-vis de la mort alors que
son approche à radicalement changé. Comment
ne pas susciter l'envie de toucher
ce qu'Aimé Jules Dalou cru bon de souligner avec
assez d'insistance pour que cela provoque le sandale
dans une population considérant comme déplacée
toute trace de virilité dans un endroit qui en
est tant dénué ? Précisément
parce qu'il n'en est pas dénué et que
le pouvoir d'attraction érotico-sexuelle de la
mort montre les prédispositions contestataires
de la jeunesse qui trouve dans la mort un écho
à ses angoisses et un moyen de prendre le large
mental sur ses aînés. La mort a, de
tout temps, était l'exutoires de toutes les pulsions
de l'homme et prend aussi dans la sexualité
des aspects transgressifs sanctionnés par les
moeurs admis.
Ce
sexe volontairement massé ramène
incontestablement à l'Eros et à la dimension
votive du mouvement, il s'agit de caresser ce que d'autres
chargent de pouvoirs surnaturels. Nous sommes là
devant une forme érotisée mais parfaitement
passive de l'instrumentalisation de la mort, alors que
dans l'histoire des dévotions le fétichisme
a pu atteindre des sommets. La passion pour les reliquaires,
la nature même des ex
voto gallo-romain représentant sexes
turgescent et seins lourds de lait dans lesquels l'église
a mis bon ordre, ou les processions de tels saints ou
saintes dans des pays particulièrement croyants
se nourrit d'une sensualité issue du corps et
la plus part du temps d'un corps défunt.
On nous oppose souvent la roideur du christianisme mais
le dire ne conjure pas le voir, c'est être extraordinairement
peu observateur que de ne pas remarquer la somptueuse
permanence de la beauté des corps et les cimetières
en regorgent. Les Pietàs, le lavage des pieds
des disciples par Jésus,
chemin de Croix, le Christ crucifié, les écoulements
de sang, la position de la tête, du buste, la
robe sans couture, les genoux joints, des pieds rassemblés
sous le clou scélérat, la mise au tombeau,
co-existent avec une permanence de la chair que l'on
ne peut distinguer de la sexualité qui prend
tant de place dans les vie des hommes qui les représentent.
Tout dans l'histoire de l'église n'est que visuels
pour faire comprendre au peuple in-instruit les nécessités
de la règle mais selon des schémas qui
reprennent les fondamentaux sexuels à tel point
que le toucher,
expression de la dévotion entre constamment en
contact avec l'iconographie religieuse. Embrasser, caresser,
masser, pieds, mains, gravures, tapisseries,
sculptures confortent la foi tout en déstabilisant
le corps contraint aux retenues sociales les plus perverses.
Ainsi, combien de commandes vaticanes ou d'églises
de village, destinées à la représentation
des corps religieux auxquels ont est sensé s'identifier,
furent rejetées, détruites, dissimulées,
remplacées ou sujettes à controverse ?
Ce penchant pour la chair que systématiquement
couleurs et lignes viennent raviver alors qu'elles devaient
prévenir des dangers du pêché persiste.
Le
sexe est dans la mort et la mort est dans le sexe comme
nous le savons aujourd'hui avec la SIDA et comme on
le savait de tout temps avec les risques mortels que
représentaient les maladies vénériennes.
Vénérienne,
Veneris qui nous vient de Vénus, déesse
de l'Amour de la mythologie romaine, l'amour représenté
encore une fois par le corps des femmes qui dans la
chrétienté ne jouirent pas de la même
réputation. On connaît le pouvoir de persuasion
d'Eve et celui de la terrifiante Lilith,
sucube
séducteur qui lui précéda.
Portant la perversion est bien avant tout sollicitée
par les hommes grands pourvoyeurs de sexe et de prostitution.
Dans ce massage de la queue Yvan Salmon, personnage
du XIXème, il y a un remix continuellement mis
à jour du film "Le retour de Martin Guerre"
avec Gérard Depardieu et Bernard-Pierre
Donnadieu. Nous avons là deux lits, un celui
de l'amour ou plutôt du sexe en roue libre à
plusieurs, Depardieu et Bernard-Pierre
Donnadieu, nus, juste séparés par
Nathalie Baye qui les masse et les masturbe,
un sexe
dans chaque mains. Le deuxième lit est celui
de la mort dans lequel un gisant matérialise
le dormeur; mais un dormeur que l'on a voulu clairement
dépenaillé et remis dans sa génitalité
de jeune homme. On ne fait pas un bronze au XIXème
siècle, comme un croquis au fusain et un gisant,
commande pour un caveau destiné au Père-Lachaise pour
un mort qui fit grand émoi _100 000 personnes
à son enterrement_ comme une création
solitaire qui n'engage que l'artiste. Le message politique,
l'irrévérence ne peut être distinguée
de la dimension sexuelle originelle. La seule différence
sur cet arrêt sur image est autant dans le nombre
de bénéficiaires de ce massage
que dans celui des masseurs et masseuses
occasionnelles, à porter leurs mains là
où naturellement nous portons tous nos yeux et
participer aux "travaux d'hercule" qui semblaient
ne pas déplaire à Nathalie Baye. Pourquoi
ainsi serait-il plus morale de faire bien plus crûment
au cinéma ce qui serait inconvenant de pratiquer
subrepticement dans un cimetière ? Le respect
des sépultures ne peut justifier à lui
seul qu'on érige des barrières contre
ces irrévérences qui contiennent toujours
leur part de pudeur mais aussi de peur face à
la mort et ne préjuge en rien de l'esprit de
ceux qui s'y adonnent, tout au plus un goût certain
pour la remise en causes des valeurs bourgeoises.
Le
massage pénien
est autant un massage du mort qu'un massage
de la mort, à la fois comme une défiance
momentanée vis-à-vis de cette opposition
que constitue la vie que comme une intention sexuelle
de soumission face au pouvoir dominant de la mort elle-même.
Elle est celle qui nous allonge dans la passivité
éternel de l'inanimé, celle qui nous possède
mais aussi celle qui s'érige en monument dans
les lieux qui l'accueille, en orbituaire familial ou
même de la cité toute entière. La
charge phallique
des cimetières n'est, dans le cas présent,
que surexposée par les gibbosités d'un
bronze. Donner à un mort ou à sa représentation
une dimension sexuelle est conforme à l'esprit
d'opposition que contient la vie. L'érection
pour exister, pour se reproduire ou l'érection
architecturale comme manifestation de la virilité
de la mort répond en echo à nos fantasmes
les plus profonds. Masser un sexe pour le faire
bander et satisfaire à ses désires de
vie est la même chose que de masser un
sexe de gisant pour tenter de prendre à la mort
elle-même son potentiel d'orgasme. La petite-mort
qui est une perte momentanée de ses forces vitales
par l'orgasme amenant jusqu'à l'oubli de soi,
devient ici une mort-petite, c'est-à-dire la
prise en compte de la forme d'un sexe marqué
comme sexe mais qui n'en est qu'une représentation
figée dans le métal. C'est prendre conscience
de la différence de nature qu'il y a entre le
giron intime d'un gisant et le giron d'un vivant. Coït,
masturbation, placent nos attribues face à l'accomplissement
d'une finalité qui contient la déchéance
de l'énergie qu'on y a mis. Dans la logique de
cet aboutissement de vie vers l'épuisement qui
est une réduction de la mort il est naturel que
l'inverse fonctionne par les représentations
dont on la dote. Dans les pouvoirs illimités
de la mort qui sont d'autant plus infinis que notre
imagination n'a d'égale que sa permanence, à
l'instar des formes artistiques qu'ont pu prendre les
aspects morbides, on donne à la mort une image
anthropologique
qui se dote alors de tous les codes humains. Sucubes
ou Incubes
sont des démons mâles ou femelles, qui
pour exister, se doivent d'abuser les vivants dans leur
sommeil qui est une autre forme de mort, une frontière
permettant cette rencontre des deux mondes. La lubricité
de la mort n'est plus à prouvée puisqu'elle
est l'inverse de la bienséance. Du côté
des vivant, toucher au sexe d'un gisant c'est toucher
à l'interdit, c'est accéder au sexe même
de la mort selon un mode nécessaire à
notre existence. Ce que ces jeunes gens flattent dans
la mort génitalisée de Yvan Salmon, c'est
la permanence érectile, lorsque celle-ci est
matérialisée, qu'ils sollicitent comme
le désire de prolonger leur vie qu'ils savent
momentanée avec toute la perception de la menace
dont chaque tombe est un huissier.
Samedi
12 juillet 2008 Par Cabello
Alain |