La
parole en massage est une transgression du toucher
Par
Alain
Cabello-Mosnier. P/O le CFDRM
Libre de droits non commerciaux.
Rédigé
à Paris le : samedi 31 janvier 2015
Parler
c'est communiquer mais communiquer ce n'est pas forcément
parler.
Certains
massés aiment parler en massage mais l'on
s'aperçoit que c'est une sorte de résistance
à se résoudre à l'instant
de relaxation
qu'ils ont voulu. Pour cela je préconise que
le praticien réponde mais n'entretienne pas la
conversation ni ne pose aucune question afin de ne pas
inciter la personne à mobiliser son esprit pour
répondre. Personnellement je ne suis pas favorable
à renvoyer un massé dans les roses
d'un dicta supposé - pour moi la relaxation
est un retour
aux origines mais pour lui, à cet
instant,
elle peut avoir un autre sens,
une autre nécessité, un impact qu'on ne
soupçonne pas. Le verbe est parfois une protection,
une façon de se rassurer.
En
massage il y a d'autres formes d'interventions
verbales en jeu en particulier lorsqu'il s'agit de dire
à la personne qu'il est temps de se retourner
ou que le massage arrive à son terme.
Comment dire les choses sans parler et donc sans casser
le silence ? La parole en massage
est une transgression du toucher quand elle se pose
là où elle n'est plus forcément
nécessaire et ne vient plus qu'en complément
d'une information que le toucher
ne peut traduire sans son recours. En fait, le
déroulé
technique d'un massage devrait être
cabale de suggérer une fin et pourquoi ne pas
envisager de laisser à la personne la liberté
de se retourner quand elle le souhaite ou d'arrêter
son massage à volonté ? Jouer
sur la raréfaction du toucher, les gestes
abandonnées, les lâchés
sachant qu'en travaillant comme cela la durée
de votre massage peut varier et la seule façon
pour que cet esprit de liberté ne rencontre jamais
les froides réalités du temps,
il faut développer les Massages
comminutifs. En Massage
Français je m'emploie ainsi à
intégrer l'idée de massage
segmentaire qui viendrait comme une sorte
de ponctuation structurante comme élément
de construction constituant tout massage. En
effet, tout massage se compose d'un nombre déterminé
de secondes, de minutes et de divers segments,
alors pourquoi ne pas se servir de ceux qui sont les
plus amènes de favoriser la relaxation
? Secondes
et minutes
sont par trop anxiogènes, mais le segment
de cinq minutes est idéal pour travailler.
Bien sûr, laisser le massage libre supposerait
une perte économique qui constitue le seul frein
provenant de nos impératifs économiques,
pourtant, il existe d'autres voies comme des considérations
subliminales techniques indiquant par la pression, la
qualité du geste,
la fin d'un cycle.
Le
massage s'inscrit de fait comme la renonciation
du verbe au profit du sens originel (le toucher),
qui chez l'homme se développe en premier au sein-même
du ventre des mères mais toucher est un verbe.
Si
le toucher est un verbe, alors pourquoi parler
serait une transgression ? Les deux peuvent se substituer
l'un à l'autre jusqu'à un certain point
mais lorsqu'un certain niveau de sens est atteint ils
se gênent et tentent de s'abstraire de leur gravité
respective. Parfois, le massage peut devenir
un langage quantique qui passe par mes mains
qui se comportent comme une sorte de danse des flamands
roses faite de 0 et de 1 mais une chose est sûr,
c'est que le verbe vient s'ajouter à lui au même
titre qu'une danseuse pouvant danser avec un corps de
Ballet tout en restant le seul axe définitif
de cet espace originel. Parler c'est briser, rompre,
menacer, regretter, exiger, indiquer, là où
le massage ne devrait être que proposition,
suggestion, concertation. Le massage est
une équation faite de doigts.
Parler est un système d'alarme sur lequel il
ne faudrait jamais tirer. Si je commence mon massage
en imprimant sur le dos de mon massé de
la force, je le termine dans la douceur, comme un vieux
couple qui sait ce que l'autre a à dire. Lorsque
je le termine, j'actionne de petites chutes de météorites
qui viennent réveillent mon massé,
j'épuise l'énergie du geste, j'esquisse
ce qui n'est plus qu'une évanescence que je signe
avant que cela ne se termine en mouvement.
Le mot est un relais que le toucher donne aux
témoins de nos doigts, à notre corps
tout entier. Toucher c'est avoir la certitude
l'autre. Je dis souvent que le toucher
est le seul sens qui n'implique pas la distance avec
le goût
mais il lui est subordonné. Masser et
l'être en retour c'est s'assurer que l'autre existe
au-delà de la voix et au-delà des mots,
au-delà même de la forme, elle se crée
au toucher de l'autre, la peau
d'un homme allongé
répond lorsqu'on entre en contact avec elle,
et c'est cette réponse que les masseur(se)
tentent de trouver que les massé(e) viennent
chercher (m'avez-vous entendu). Être massé
c'est exister par et dans les mains de l'autre, c'est
être sûr que même nu, même les
yeux fermé, l'intervenant reste toujours capable
d'empathie, de connivence. Le massage
idéal serait un lieu où les mots n'existent
pas davantage que le temps
qui le pressure.
Alain
Cabello samedi 31 janvier 2015 |