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Page créée le : jeudi 19 juillet 2012
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Pulsion de mort dans le massage Par
Alain Cabello-Mosnier. Rédigé à Paris le : samedi, 25 avril 2009 Nous nous sommes interrogés au CFDRM s'il
fallait tomber dans l'évidence du noir pour cette page peu
commune. La réponse nous fut proposée par l'histoire
de la mort en occident et de sa symbolique, celle de l'oeil qui
se clôt pour mourir ou pour se laisser masser, celle de l'esprit qui s'éteint ou entreprend
le vide en soi l'instant d'une séance. Le noir était
culturellement la couleur la plus chargée, la plus proche
de la pénombre nécessaire à son accomplissement.
Étrange entrée en matière aussi que ce texte
d'ouverture qui s'interroge sur la pertinence d'une couleur, plutôt
de d'aborder d'entrée le sujet _pourquoi le massage et la mort ?_ pourtant la couleur est messagère
de bien plus de choses qu'une simple réaction rétinienne
mais si il ne fallait en retenir que celle-ci, alors on peut dire
que ce que oeil perçoit reste bien le privilège des
vivants et de ces mises en lumières. Alors pourquoi l'étrange
mésalliance, inhabituelle et méchante pour le moins
surprenante, entre le massage et la mort ? Si le massage est si souvent mélanger à l'amour
porteur de rouge et d'Eros, le massage ne pouvait échapper à ce versant singulier
dont les ombres tendent naturellement à nous dissimuler les
premières manifestations de ce thanatos. Ce que Freud installa durablement dans la psychanalyse ne pouvait
pas décemment ne jamais résonner dans les arcanes
aussi forts complexes du massage. C'est à la mort de sa fille, Sophie, sa
chère éblouissante Sophie en 1920 et trois ans plus
tard de son petit fils, Hans, mais aussi celle de Karl Abraham,
un de ses plus brillant disciples en 1925, qu'il élabora
cette théorie de deux forces pulsionnelles de vie et de mort
comme forces élémentaires constitutives de l'homme
nécessaires à son équilibre mental, comme il
le développera dans son livre, Au-delà du principe
de plaisir. Les adeptes de cette école freudienne eurent
du mal à intégrer cette dynamique alors que Freud
apprenait la même année que la mort de Hans qu'il était
atteint d'un cancer de la mâchoire. Le choc à lui seul
ne pouvait-il pas suffire à expliquer ces relents de désarrois
? Pouvait-on penser un seul instant qu'à la seule peine un
esprit si fin se laisserait prendre au point de confondre l'aveuglement
de la douleur avec la perspicacité de sa pensée ?
Le massage
contient ces mêmes contraires et les pulsions l'animal de
l'humain qui le pratique, le vit et le ressent. Nous verront que le massage contient sa part de violence comme une sorte de massage en négatif, d'anti-massage venant en négation du corps. Et puis, le CFDRM pouvait-il seulement ignorer un tel invité originel ? Non bien sûr. Il a sa place et pas la moindre si l'on veut bien prendre la peine de l'extraire de son étriquée définition biologique. Lorsque l'on connaît le massage
de relaxation qui se définit
souvent comme un retour aux origines, on a du mal à imaginer,
lorsqu'on y songe, qu'un retour si profond se fasse sans que jamais,
nulle part, la présence de la mort ne soit présente. Le massage c'est la confiance, c'est l'abandon et l'abandon
c'est confier à autrui sa sécurité... Je me
laisse aller, "je m'en remets entre tes mains, je perds le
contrôle" mais qu'est-ce donc que le contrôle si
ce n'est la mise en sécurité de son corps par la veille
de l'esprit ? Le bien-être est cette notion de laisser aller
et si on le ressent avec tant d'intensité c'est précisément
parce que l'homme primitif qui sommeil, replié en nous, n'a
pas oublié les dangers de l'existence et ce qu'il en coûte
des inattentions, lorsque l'on assiste impuissant aux conséquences
des accidents de la vie sauvage. Si nous prenons un peu de recule
et surtout le temps de réfléchir à ce que signifie
par exemple l'expression, "dormir sur ses deux oreilles"
on comprend bien qu'il ne s'agit pas de la même chose que
de "ne dormir que d'un oeil". Le sommeil, selon les circonstances
est certes, bénéfique, relaxant, mais il peut s'avérer mortel. Dormir, c'est
bien là le danger. Dormir c'est se détendre et se
détendre c'est déjà relâcher son attention.
Ne dit-on pas d'un massage qu'il "permet de lâcher prise" ?
Lâcher prise constitue les prémices d'une stratégie
très ancienne ancrée chez les animaux de meute qui
consiste à déléguer l'attention de chacun et
donc de la sécurité du groupe à un seul, afin
de se nourrir ou chasser convenablement, comme la partenaire enceinte
délègue à son congénère le soin
de la nourrir le temps de sa grossesse qui la rend inapte à
le faire elle-même, le massé prépose ainsi son masseur à rester
attentif pour lui tandis qu'il s'offre le rare plaisir de se laisser
aller sans trop risques... Renseignements pris, rassuré par l'environnement
d'accueil, le massage peut commencer. Pourtant la parade mortelle n'a
pour le coup pas cessée de s'étendre et se poursuit
alors que tout semble pacifié. Seulement dans le couple recomposé
pour les besoins d'un massage, persiste tout un ensemble de conditionnements qui
rappellent notre place dans la société. La présence
double de l'autre instruit de fait la dualité dans ce qui
n'est pas moi et se révèle source de danger. Jamais
deux ne seront identiques et cette présence des différences
suffit à établir un rapport de force potentiellement
létale à l'identité de l'autre. Celui qui
domine est celui qui soumet et la soumission c'est admettre la toute
puissance de l'autre sur mes acquits de vie avec la permanence du
sujet de mort. Dans un massage, le passif n'est pas forcément celui qui
se laisse masser mais peut concerner le masseur ou la masseuse selon la hiérarchie habituelle des sexes
mais aussi des fragilités qui font que l'individu massant, donc pourtant
dans la position de dominant, peut tout à fait se placer
instinctivement par le massage en situation de négociation de statut. La
létalité se situe dans ce processus d'effacement identitaire
pour aboutir à une forme inconsciente de laisser-prise-de-pouvoir
volontaire. Cette dominance passe par tout un complexe de signaux
dont le corps est vecteur. Par le positionnement, la puissance du
geste, sa spontanéité, son énergie, de l'information
passera en permanence sans qu'une seule seconde soit neutre de toute
charge communicationnelle. Le massage est féminin par sa bis-écoute, chacun
entrant en communication avec un corps, celui du massé. Seulement le corps est lui masculin, intrusif et
jamais tout a fait isolable du corps également masculin du masseur ou de la masseuse ce qui établit là l'opposition et
donc l'amorce du conflit. La prostitution en est une forme mais
elle n'est pas la seule. L'art du massage identifié dans un conflit du type prostitutif
devient la victime de cet enjeux et se trouve en grande partie détruit
dans ses principes comme dans son esprit. La scène devient
alors la photographie d'une mise à mort qui ne sera pas sans
blessés et pas non plus sans être pourvoyeur de conditionnements
sociaux me confortant dans mes dispositions de prédateurs
que nous avons tous. La position de mort est aussi présente dans les symétries corporels, dans la dualité des sens, dans le parcourt même que décrit la gestuelle du praticien ou de la praticienne. Nous avons là une sorte de Cène, prenant le corps pour table et les sens de chacun pour convives en rejouant à jamais ce dernier des repas finissant par la mort du maître. Masser c'est réunir pour à jamais trahir l'esprit d'un maître qu'on est venu chercher pour mieux le crucifier après, comme si les deux natures, humaine et divine, de l'un comme de l'autre, ne pouvaient tout à fait être conciliés mais recherchait à être Ré-concilié, c'est à dire, conciliées à nouveau, comme si la première fois ne pouvait être que celle de la rencontre en prévision d'une autre à venir, qui serait le mariage mais un mariage qui passerait par le meurtre. Prévision, et si le massage était une "pré-vision" de quelque chose d'inabouti en l'homme ? La nature christique de ce concept est nullement fortuite mais au contraire profondément sociologique et anthropologique, incapable de se détacher tout à fait de son fond archétypal. Échapper à la terreur de la mort est la poursuite de tout combat sachant que l'art du massage est art de guerre, enfermé momentanément dans une mandorle qui n'est qu'une projection de notre désir d'être rassuré. Et comme être seul n'est jamais la meilleure façon de sur-veiller l'inéluctable, la dualité est la façon la moins tragique de conserver l'autre comme témoin de ce danger et spectateur de notre mort, même si elle risque de venir par celui censé nous en prévenir. Mourir seul reste aussi inconcevable que de naître seul. Se faire masser c'est le Christ dans le sépulcre, finir son massage c'est la naissance, c'est rejouer la création, c'est renaître. Le massage vu comme une pulsion de mort dégage toute
une topologie, tout un cadastre qui le rend particulièrement
insolite à étudié et il me semble que le laisser
au seul confort des formalismes sociaux le dénature plus
que d'admettre la part de non être qu'il contient. Le retour
aux origines entend une deuxième naissance, un peu comme
une image mythologique de retour à la fontaine de jouvence,
celle de la renaissance, mais c'est oublier que cette renaissance
passe par une sorte de mue, de mort pour de faux. Là nous
sommes en plein alchimie mais toujours dans le giron proche de la
mort. Lisons pour cela Jung, Psychologie et Alchimie, et nous verrons
ce processus de la mort du roi dévoré pour mieux renaître.
Pas aussi érudit que cette volumineuse sommes de savoirs
anciens nous aurons tenter de vous démonter, à l'instar
de ce disciple de Freud, que le massage trouve écho dans jusqu'au plus profond des
cérébralités de l'anthropos. Si l'alchimie peut révéler par chacune
de ces productions, son rapport étroit avec la psychologie
humaine on voit bien qu'elle révèle tout autant, dans
les corps des massés/masseur, des combats inconscients qui se jouent sous la
surface calme d'une mer en proie à l'agitation du vivant
et c'est ce mouvement de fond que décrit le geste. Ici nous
retrouvons l'Abba et le Béra, rapport entre le modeleur et le modelé tel que nous le présente Marcel
Jousse. Voilà la magie du
massage,
voila ce qui s'ordonne sous les mains d'un masseur ou d'une masseuse et c'est ici que l'on prend conscience que réduire
le massage
à des contingences de temps, l'enfermer dans une heure comme
dépasser les frontières de la sexualité pour accomplir les basses oeuvres d'une sexualité,
sans réel partage, est meurtre, pire encore, est assassinat.
Et ne disons pas que les mains de celui ou de celle qui nous masse ne guide
pas ce genre de pensée et que la prosaïcité de
vos rapports n'ont d'équivalent que celle de son toucher, car toujours, culture est derrière, culture
est partout. Ce n'est ni l'esprit, ni le savoir qui font la qualité
du vivant mais sa nature intrinsèque. Le fait d'aborder cet aspect du massage nous montre qu'il n'y a pas d'espace où l'homme
puisse échapper à cette inquiétude sournoise.
Oublier ou tenter d'oublier la mort c'est déjà mourir
et ce de la façon la plus tragique et inversement proportionnelle
à l'effort que l'on produit pour ne pas y penser. Car, si
il y a quelque chose de pire encore que de mourir c'est bien l'effacement
de la mémoire collective qui constitue l'irrémédiable
anéantissement. Parler de la mort de quelqu'un le relie à
une forme primitive de vie qui fut, et à l'influence qu'elle
à eu sur ses contemporains et sur ceux qui en parlent. Exister
de nouveau, l'espace d'une conversation, c'est le dernière
moyen de vie qu'il puisse nous rester, tributaire que nous sommes
des événements de ceux qui nous survivent. Peut-on
d'ailleurs toujours se dire "tributaire que nous sommes des
événements" alors que le verbe être n'est
plus celui qui sied à notre statut de disparu ? En tout
cas, c'est bien de ne plus parler d'un mort, comme si il n'avait
jamais posé ses pieds sur terre, qui nous fait être
si créatif. Massage des morts au Mali ou au Niger, massage de mort par l'effacement d'une lettre létale au Golem dans la mystique juive, massage de la mort par les phénomènes de passage à trépas, massage de retour du monde des morts à Madagascar, massage cardiaque pour relancer la vie, les traces du massage corrélées à cette perte de substance vitale à toute vie sont nombreuses. Ainsi, cet aller que nous vous proposons n'est pas toujours sans retour et brille des milles facettes d'un surprenant diamant, noir, va sans dire. Mardi 17 juin 2008 |
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