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Mots clefs : Zhang Yimou, Epouses et concubines, massage, cinéma, Alain Cabello, réflexologie

 

Épouses et concubines

Par Alain Cabello-Mosnier.
P/O le
CFDRM
Libre de droits non commerciaux.

Rédigé à Paris le : le samedi 30 août 200

 

 

Film réalisé par Zhang Yimou Avec Gong Li, en 1991.

"Epouses et concubines" mériterait d'être travaillé en profondeur tant ce film est un des plus prodigieux témoignage de la nature des liens qu'entretient le massage avec le pouvoir, ou plutôt devrions-nous dire, les pouvoirs, ceux de l'érotisme, de la tradition, des hiérarchies. De plus nous avons plusieurs formes de massages magnifiquement sublimés par Zhang Yimou. Ainsi, le massage des Epouses et Concubines prend une part centrale, et dans le cérémonial qui organise le prestige que constituerait le privilège d'avoir été choisie par le maître pour passer la nuit avec lui, et comme l'élément le plus actif du rite. Il est une communication qui s'installe jusque dans les sonorités qu'il produit, destinées à faire savoir aux autres épouses le rôle prépondérant que l'élue a.

Premier massage : Nous avons ce premier massage assez surprenant pour un oeil occidental qui consiste à frapper la plante des pieds avec de petits maillets armés de grelots sonores au son saccadée. Ces sons se placent comme de véritables massages-sonores comme le raffinement de l'Asie a su le développer pour devenir beaucoup plus que la simple conséquence d'une décoration d'ustensile destiné à sa pratique. La rythmique gestuelle mais aussi sonore est une mise en perspective de ce que suggère ce massage. Il annonce à toute la maison qu'une épouse bénéficie d'un massage destiné à la préparer pour la couche du maître. La trépidation symbolise le rituel, l'installe dans sa permanence.
Les pieds, recouverts d'un
linge rouge lourd de sens est une extension du sexe et de sa préparation à l'amour comme l'Asie a su le formaliser. Ce n'est pas pour rien si le pied prend une telle place dans les massages asiatiques jusqu'à l'extraordinaire travail de la réflexologie. Tambouriner sur ce tissu c'est frapper, solliciter le droit d'entrer et en même temps commencer le travail érotique d'approche génitale. C'est un peu comme une extension du Lotus d'or qui consistait à bander les pieds des filles pour qu'ils ne dépassent pas 7,50 cm. Les souliers portés le jour des noces étaient également souvent brodés de scènes érotiques parfois très explicites et destinées à instruire l'épouse.
Le massage musical prévient la cité entière que la tradition se poursuit immuablement. Celle qui est choisie est celle qui possède la capacité à ce moment là de donner un enfant, une descendance au maître pour perpétuer la dynastie avec tous ce que cela suppose de domination et de privilège.

 

Songlian se faisant masser les pieds par une servante.

 

Deuxième massage : Si Songlian est la dernière des épouses arrivées Qi Zhao, la servante constitue une des concubines. La rivalité entre ces deux femmes est immédiate et Songlian, la surprend en train de fricoter avec le maître, dans sa propre chambre. Certes, celui-ci a tous les droits mais cela heurte l'orgueil de Songlian et installe une tension supplémentaire entre les deux pièces de ce rouage traditionnel. Le maître s'agace de cette sensibilité et décide d'interrompre ses faveurs à la nouvelle arrivée et lui préfère une autre de ses épouses. Mais pour tout le monde cela signifie que quelque chose s'est mal passée ce qui n'est jamais bon dans un monde  aussi codifié que féroce...
Le massage qui suit est un de plus bel exemple d'érotisation par projection. Songlian n'étant plus visitée par le maître n'est plus massée mais les sonorités des maillets continuent à spécifier à tous qu'une épouse est choisie sur le même mode. Elle projette donc le privilège d'être massée en fermant les yeux et en s'auto-massant les pieds, l'un contre l'autre. Le fond est noir et illustre bien de sa solitude, l'apparat est remplacé par les jambes suspendues réduite à des frottements, simulacre de massage. Cette scène est très belle et lourde d'érotisme féminin. Le pied symbole de sexualité est là, filmé abandonné, obliger d'imaginer ce que d'autres ont le privilège d'avoir, être massés avant l'amour. Privilège, certes, mais privilège usurpé puisqu'en tant que nouvelle épouse, c'est elle qui devrait être à leurs place, et cela à cause de Qi Zhao, la servante. Ce qui est intéressant dans ce film c'est absence du maître qu'on ne voit jamais en gros plan. Il est omniprésent, il est celui autour duquel tourne ce monde mais on sent que le sujet n'est pas là. Aucune étreinte n'est montrée, son visage même n'apparaît que comme un personnage secondaire. Ce qui se joue dans ce film ce sont les relations entre épouses et concubines et le schéma complexe que constituent leurs vie.

 

 

Troisième massage : Scène de massage du maître par la deuxième épouse qui se présente que l'amie la plus proche de la nouvelle arrivée. La suite montrera que les rivalités ne s'encombrent pas de sentiments. Ce massage fait partie des percussions.

 

 

Quatrième massage : La flûte que lui avait donné le père de Songlian a disparue. Elle appelle Qi Zhao qui lui jure ne pas y avoir touché. Songlian ne la croit pas et l'entraîne de force dans la chambre qu'elle habite. Qi Zhao la supplie, elle dit n'être pour rien dans ce vole mais quand Songlian pousse la porte de la chambre de la servante, elle découvre des lanternes rafistolées et allumées selon le même cérémonial réservé aux épouses. Cela représente un acte grave. Songlian fouille alors les affaires de Qi Zhao à la recherche de sa flûte mais à la place de celle-ci, elle trouve une poupée destinée à l'envoûter.
Seulement les caractères écrits dessus ne peuvent avoir écrit par Qi Zhao qui est analphabète. Songlian jure de ne rien révéler de toute cette mise en scène si celle-ci lui révèle qui les a écrit. C'est la deuxième épouse, celle qu'elle croyait être son amie.
Cette figurine ensorcelée constitue une forme de massage chtonien, de massage souterrain non plus destiné à faire du bien mais à inviter le mal. Les caractères peints ainsi que les aiguilles enfoncées sont massage. Ces aiguilles, dans la tradition chinoise ont un double langage puisqu'en effet, ce sont des aiguilles que l'on utilise pour soigner. L'acuponcture est au coeur du système de soin traditionnel chinois mais il est détourné pour devenir une sorte d'anti-acuponcture destinée à tuer. Nous aurions là matière à mener des travaux intéressants le massage et la mort du CFDRM.

 

 

Cinquième massage : Les tentions entre Songlian et sa servante ne s'estompent pas et nous montrent dans la scène suivante un massage de domination et de hiérarchisation dirigée à l'intention d'une seule. L'épouse, ancienne universitaire qui à du interrompre ses études par manque d'argent, voit son esprit contraint de rejoindre le cercle traditionnel par un mariage arrangé qui ré-enferme à jamais son désir de liberté. A son tour Songlian ne manque pas une occasion de rappeler à Qi Zhao sa place de domestique.
Le
massage suivant est manuel, on sent la tension qu'il y à entre Songlian, la dernière des épouses arrivées et sa servante, Qi Zhao. C'est cette servante qui constitue une des concubines. Elle l'oblige à contourner la tradition, à lui masser les pieds, à se soumettre à ce massage de dominant. Qi Zhao est obligée de prendre la place de la vieille édentée préposée au massage et de masser sa maîtresse de façon assez similaire à celui qu'elle aurait eu si elle avait été choisie. Elle marque sa différence et lui stipule qu'à défaut d'avoir été choisie elle reste potentiellement une des élues, ce que Qi Zhao n'est pas.

 

 

Sixième massage : Nous sommes là en présence d'un autre simulacre de massage dans la chambre de la servante qui rêve au plus profond d'elle-même d'être une de ces épouses choyées. Ce massage fantasmé est à mettre en parallèle avec celui que projette au même instant Songlian qui entend comme tous les personnes de la cité, raisonner les maillets de l'élue du soir tambourinant contre la plante de pieds.
Cette scène est très belle et nous montre l'ampleur de la solitude de celle que personne jamais ne masse et la puissance de l'esprit que l'imagination transcende.
Zhang Yimou nous montre ici un massage vraiment somptueux qui se caractérise par l'absence de toucher. Pour ce faire masser il faut être deux mais quand on ne l'est pas on fait semblant et pour cela, nous avons la scansion de cet autre qui suggère. Le son dans ce film est immédiatement associé au massage mais même sans lui, la seule présence des lampions allumés suffit à installer l'atmosphère douce de la relaxation et de l'érotisme. N'oublions pas que les lumières rouge sont celles de la préparation à l'amour avec le maître.
En France, les lanternes rouges servaient à signaler l'entrée des bordels. Le rouge est associé à la sexualité, aux menstrues.

Ici nous avons la forme ultime de la masseuse (inexistante) sublimée par cette jeune servante.

 

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Septième massage :  Songlian, feint d'être enceinte comptant sur la présence quotidienne du maître dans sa couche pour l'être réellement. C'est du quitte ou double. Si cela réussi elle s'imposera comme celle autour de laquelle tournera toute la maison, mais si elle échoue... Elle demande au maître que Zhuoyun, la deuxième épouse, vienne la masser alors qu'elle lui a délibérément coupée l'oreille en la coiffant pour se venger d'avoir écrit son nom sur la poupée retrouvée chez Qi Zhao. Bien sûr, rien n'est dit, tout n'est toujours que sourires et conventions, mais la rivalité entre ces femmes fait rage. Qui a dit que le massage n'était jamais que douceur ?