Commentaire
des lecteurs Chaque personne ayant
procédé à la lecture de ce livre
pourra, si elle le souhaite, y faire paraître
un commentaire ou un résumé en lien avec
le massage.
Cabello
Alain, Paris le lundi 24 janvier 2011
C'est
en lisant Cet
obscur objet du dégoût
par Julia Peker Ed. Le Bord De L'eau 2010 que je suis
tombé sur ce chapitre
3, pages 152 à
158, sur Kant que je ne peux
m'empêcher de vous restituer et qui fut pour moi
un vrai bouleversement dans la hiérarchie des
sens si tant est que l'on doive leur en appliquer
une.
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"Le
littéral
Mais comment en spectacle répugnant
parvient-il à imposer ainsi à imposer
la sensation de l'immonde même ? Au titre de représentations
efficaces, les évocations terrifiantes de tous
ordres ne le cèdent en rien au dé-
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goût, et les situations de suspens
peuvent elles aussi mettre le spectateur dans des états
quasiment insoutenable. Si l'analyse de Kant touche
juste, il semble donc que ce soit le réel dévoilé
qui distille un tel effet de réel, et non les
promesses réalistes ou suggestives de la représentation
: quelque chose dans l'immonde annule la possibilité
même du spectacle et accule à la jouissance.
Est-ce sa laideur, son désordre, l'ambivalence
de notre attitude à son égard ? Kant ménage
bien une place à ces spectacles qui suscitent
en premier lieu des affects négatifs de répulsion,
excèdent l'ordre des catégories conceptuelles,
déroutent le jeu de la connaissance et du plaisir
pour être finalement sanctifiés comme sublimes.
Ainsi certains spectacles naturels imposent-ils le surgissement
d'une matière sensible débordante et inquiétante,
mais la menace du désastre ne se profile alors
que pour mieux faire grandir l'esprit. Qu'est-ce qui
distingue donc si foncièrement le sentiment sublime
éprouvé devant le colossal, de l'aversion
indépassable pour le monstrueux ? Pourquoi l'un
reste-il dans le champ dialectique du plaisir tandis
que l'autre s'embourbe dans la jouissance abyssale,
résolument exclue du système esthétique
?
La chaîne de montagne qui se décline
à l'horizon outrepasse le cadre fini de la représentation,
et pourtant l'impuissance de l'imagination à
embrasser dans un tout cette vision n'anéantit
pas l'esprit dans une sensation de délitement.
Tant d'ampleur ne peut plus être ramenée
à l'unité et à la relativité
d'une
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mesure mais ce chaos fait encore signe
vers une grandeur indépassable ; au-delà
de toute appréciation objective, l'idée
de son infinité est signifiée par là
même. A défaut de pouvoir être considéré
comme un objet, le colossale renvoie à l'idée
d'infini en délivrant un sentiment de grandeur infinie. L'infirmité
de notre pouvoir sensible nous arrache également sa limitation,
car cette impuissance paradoxale témoigne d'une
finalité suprasensible de notre esprit et la
violence subie par l'imagination est le prix à
payer de cette délivrance. En venant découdre
la trame ficelée des objets donnés dans
le sensible, le colossale fait aussi entendre un pouvoir
de l'esprit qui dépasse toute mesure des sens.
Tandis que l'entendement nous permet d'évaluer
mathématiquement la grandeur par progression,
la nature franchit là un seuil qui nous libère
des règles de composition et de l'indéfini
présente un phénomène dont l'intuition
véhicule l'idée de son infinité.
L'abîme est donc à la mesure de la démesure
de l'infini et de l'absolu, à la hauteur de la
raison. Dans l'expérience du sublime, l'analogie
demeure effectivement le grand ressort du jeu entre
les facultés : l'inadéquation de l'imagination
fait retenir un pouvoir démesuré de l'esprit,
et la violence de l'ébranlement est le point
de départ d'un dépassement.
Mais cette matière informe peut
élever l'esprit ou l'engloutir, l'affranchir
des limites du sensible ou l'engluer dans la densité
de la matière. Quand il est envahi par le dégoût,
il voit ses facultés s'effondrer sous le coup
de cette défection de la forme. L'analo-
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gie devient impuissante à rendre
raison de ces phénomènes. Aspiré
par la prolifération, le désordre de la
matière n'est plus prétexte à l'idée
d'infini, et la violence du chaos cède le spectacle
à l'inutile persistance du déchet. Au
lieu d'exciter le pouvoir de l'esprit, le sensible s'épuise
dans la littéralité d'une matière
irréductible à l'emprise des catégories
et des idées, à l'entendement et
à la raison. Ce qui se donne en spectacle au
détriment du spectateur, c'est la littéralité
indépassable d'un réel qui est à
la fois irreprésentable et impensable, et cette
double soustraction s'éprouve sous la figure de l'insupportable. L'immonde
donc n'est pas telle ou telle figure de la laideur ou
de déplaisir, il est ce qui s'impose à
la « jouissance », à la sensation dans sa littéralité.
Mais s'il n'y a d'usage que littéral
du dégoût, c'est la réalité
organique la plus empirique de l'émotion qu'il
faut prendre en considération pour saisir cet
effet de réel, autrement dit la sensation triviale
que peuvent provoquer l'aliment répugnant ou
la puanteur. Ce que Kant dit du dégoût quand il
examine les cinq sens de l'homme devrait donc permettre d'élucider
ce surgissement irrépréhensible de la
jouissance, de la distinguer du désir et
du plaisir.
Dans l'Anthropologie
du point de vue pragmatique , toute
la hiérarchie des sens s'agence selon la distance
par rapport à l'objet : ainsi, la vue, l'ouïe
et le tact sont-ils considérés comme les
sens supérieurs, car ils contribuent davantage
à la connaissance de l'objet qu'ils n'affectent
véritablement le sujet. En revanche goût
et odorat mettent le corps en étroite
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proximité
avec l'objet de la sensation, au point de violer la
limite entre le corps propre et l'objet, et c'est à
propos de ces deux sens inférieurs qu'il est
rapidement fait mention du dégoût, pour
désigner une réaction spontanée
de l'organisme amené à se défendre
contre une absorption :
« Au domaine des influences mécaniques
appartiennent les trois sens supérieurs, à
celui où les influences sont chimiques les deux
sens inférieurs. Ceux-là sont les sens
de la perception (qui porte sur la surface des choses),
ceux-ci sont les sens de la jouissance (absorption
de la plus intérieure). De là vient que
le dégoût, une impulsion incitant à
se débarrasser de ce qu'on a consommé
par la voie la plus courte du canal alimentaire, a été
donné aux hommes sous la forme d'une impression
vitale aussi forte, dans la mesure où cette absorption
à l'intérieur de soi peut être dangereuse
pour l'être vivant. »
Dans un contexte très différent
de la Troisième
Critique, le dégoût
se présente encore comme une expérience
de confusion, l'objet faisant de nouveau irruption
dans le sujet. Avant toute idée objective de
nocivité, cette impulsion est une réaction
viscérale à une jouissance profonde, la
sensation d'absorber en soi un corps étranger.
Pourtant les sens de la jouissance nous imposent sans
cesse cette intrusion, car
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Il n'est pas de corps qui ne s'alimente,
pas d'homme que le désir ne porte vers de nouvelles
expériences d'altération. Lorsqu'il est
révulsé, l'organisme réagit donc
à une jouissance trop profonde, à une
absorption ressentie comme un poison, à
une intrusion susceptible de provoquer
le dégoût, mais on ne peut sentir ou goûter
qu'en absorbant une matière : les sensations
olfactives et gustatives ne sont pas de simples effets
mécaniques provoqués par une cause bien
distincte mais des effets chimiques, déclenchés
par une compromission réelle avec un corps étranger,
c'est-à-dire par une altération physique.
Dans le cas de l'odorat, cette affection des sens est
d'autant plus redoutée qu'elle est intangible,
et d'autant plus redoutée qu'elle est intangible,
et d'autant plu dangereuse dans le cas du goût
qu'elle enclenche tout un mécanismes d'incorporation
- ingestion et assimilation. Odorat et goût fonctionnent
donc de telle sorte qu'ils font toujours planer une
menace, comme si le dégoût était
toujours à l'horizon de la jouissance. La supériorité
des autres sens supérieurs tient à ce
qu'ils sont des sens du spectacle, capable de s'exercer
à distance de leur objet, d'être indifférents
à son existence, et cette distance est tout particulièrement
le privilège de la vue, car dans certaines perceptions
auditives et tactiles il arrive que l'objet fasse brutalement
irruption, et déclenche de pénibles sensations
d'invasion.
Plus l'absorption est intérieure
plus la jouissance est forte, et plus le dégoût
peut donc devenir violent. Le dégoût n'est
vif qu'à la mesure de la jouissance
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qu'il contient, et la jouissance
est d'autant plus forte qu'elle va au-devant du dégoût.
Ainsi, l'effet de réel provoqué par le
spectacle de l'immonde n'est-il pas une simple appréciation
de réalisme, mais un effet bien réel de
sensation invasive. On ne peut que jouir de ce réel
qui surgit, le sentir pénétrer en soi
au risque d'être altéré, et le spasme
où se mêlent d'un même souffle cette
jouissance et dégoût approche d'une certaine
façon de l'insoutenable."
Ou
page 165 " ...et si le poil échoué
dans notre assiette se révèle un malheureux
fil de tissus il perd au même instant sa charge
intrusive. Seule la vie organique peut incarner le spectre
de la mort qui s'esquisse dans le dégoût,..."
Cette phrase fait partie du chapitre Le parfum des
fleurs de cimetière p. 164 avec tout un intéressant
exposé sur la mort.
Elle
aborde l'Exhibitionnisme p. 172. |