ANNALES
D'HYGIENE PUBLIC ET DE MEDECINE LEGALE
CONGRES POUR LA REPRESSION
DE
L'EXERCICE ILLEGAL
DE LA MEDECINE
Tenu à Paris
le 28 et 31 mai 1906
Discours prononcé
par le professeur Brouardel
à la séance
d'ouverture, le 28 mai 1906
Messieurs,
Ma
première parole sera pour remercier MM. les membre
de la magistrature et du barreau, qui, pendant la période
de préparation du Congrès, nous ont donné
leur concours, soi en rédigeant des rapports
personnel, soi en nous aidant à résumer,
dans des formules juridiques, les conclusions des diverses
questions soumises au Congrès.
Cette
collaboration nous a profondément touchés,
non pas seulement pace qu'elle nous a été
fort utile, mais surtout pace qu'elle nous a prouvé
que, contrairement à la légende fort ancienne,
nous avons parmi les juristes et les conseillers des
amis très sincères.
Je
remercie également les représentants des
ministères de la Justice, de l'Instruction publique,
de l'Intérieur, de la
(page
6)
Préfecture
de Police, qui nous a fait l'honneur d'assister à
nos travaux. Plusieurs de nos confrères d'au
delà du Rhin, de Belgique, de la presse française
et étrangère témoignent, par leur
présence, de l'intérêt qu'il attachent
à la solution des questions soumises aux délibérations
du Congrès. A vous, messieurs, j'adresse mes
remerciements et une cordiale bienvenue.
Je
veux exposer, aussi brièvement possible, le but
que le Congrès s'est proposé d'atteindre.
Grace au zèle du Comité d'initiative,
de son président, M. Dr Duchesne,
que, malheureusement, sa santé retient loin de
nous, grace surtout à notre dévoué
secrétaire général, dont la vaillance
et la bonne santé ont résisté à
toutes les fatigues, nous avons réuni un ensemble
de rapports, dont la lecture met le but en pleine lumière.
Messieurs,
dans tous les pays, lorsqu'un peuple est arrivée
à un certain degré de civilisation, les
pouvoirs publics ont pensé que la vie et la santé
étaient des bien trop précieux pour que
des personnes incompétentes aient la direction
du traitement et des soins à donner aux malade
ou aux blessés.
Les
législateurs ont donc édicté des
lois, variables suivant les moeurs et les habitudes
des diverses nations ; mais toutes ont été
inspirées par une même pensée :
protéger la vie et la santé de leur concitoyens.
Comme
conséquence, ils ont exigé que les personnes
à qui ils confiaient le droit de donner des soins
au malades possèdent une compétence réelle,
démontrée par de longues études,
de nombreux examens et des sacrifices pécuniaires
élevés.
L'intérêt
capital est pour nous tous, médecins et non-médecins,
celui de la santé des malades. Mais le médecin
a parfois le droit de se demander si les sacrifices
que les pouvoirs publics lui ont imposés sont
suffisamment appréciés par les magistrats
chargés de veiller simultanément sur la
protection des malades et des médecins,
(page
7) associés, reliés dans une solidarité
absolue, par la volonté formelle du législateur.
Parlant
de l'exercice
illégal de la médecine, un
de nos anciens a dit : " Les médecins en
souffrent, les malades en meurent.".
Ils
ne meurent pas tous ; en ce cas, la vérité
serait si éclatante que la question serait résolue.
Mais beaucoup restent estropiés. Le Dr
Thiéry, chirurgien des hôpitaux, a communiqué
au docteur Dr Saint-Aurens une série
d'observations de panaris soignés ou incisés
par des marchands de vins ou des pharmaciens, qui ont
presque tous abouti à la perte des phalanges.
D'autres
guérissent malgré les traitement les plus
irrationnels. C'est qu'en effet tous les malades ne
sont pas atteints d'une affection mortelle, et, lorsque
le charlatan se présente devant les tribunaux,
il est entouré par une cohorte de clients, animés
par la foi ; pour eux il est un sauveur, un demi-dieu.
Quant
aux victimes, elles sont sous la terre, et personne
ne prend la parole en leur nom.
Pour
moi, j'estime que les faits directs causés par
l'intervention et les conseilles des personnes incompétentes
ne sont pas les plus nombreux et peut-être les
plus graves. Ces avis incohérents ne permettent
pas au malade de recevoir, en temps utile, les soins
qui auraient pu le guérir.
Parmi
de nombreux exemples, j'en prends un : la phtisie pulmonaire.
A la find e février, cette année, je suis
allé dans deux salles d'hommes d'un hôpital
de Paris et j'ai posé au phtisiques la même
question : A quel moment avez-vous été
ausculté pour la première fois ? Ma santé
ne m'a pas permis de continuer l'enquête, celle-ci
ne porte que sur les 63 malades, chiffre insuffisant,
cela est certain. Je crois pourtant qu'il est suggestif.
Sur
ces 63 phtisiques, 9 avaient été auscultés
par des médecins au cours de leur maladie, sans
qu'il m'ait été possible de préciser
à quelle période de celle-ci ; cet examen
(page
8) avait été pratiqué.
2 d'entre eux l'avaient été à travers
leurs vêtements de drap, sans qu'on eût
pris la peine de les dévêtir.
15
avaient été auscultés pour la première
fois, quand, terrassés par la maladie, ils avaient
dû faire appel aux soins du médecins du
Bureau de bienfaisance.
Les
39 autres n'avaient pas été auscultés
avant de se présenter à la consultation
de l'hôpital.
Je
répète que ces chiffres donnent une indication
qu'il sera facile de compléter et de rectifier
par une véritable statistique. Cette constatation
prouve que, pendant des mois et des années, personne
ne s'était occupée de faire le diagnostic
de la maladie de ces malheureux. On leur avait délivré
des remèdes contre la toux, mais on avait institué
aucune médication curative. On ne leur avait
donné aucun conseil pour empêcher la contamination
de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs camarades
d'atelier.
Je
suis convaincu que de telles pratiques font encore plus
de victimes, par l'omission de tout traitement utile
que les méfaits directes, résultant des
interventions malheureuses des charlatans. Je pense
qu'il y a lieu d'insister sur ce danger, parce que si,
par hazard, les coupables sont poursuivit, les tribunaux
ne trouvent pas que la distribution de ces potions anodines
constituent le délit d'exercice illégal
de la médecine. Il n'en est pas moins certain
que ces habitudes vouent chaque année à
la mort de milliers de victimes.
Mais
chers Confrères, vous vous plaignez, dans les
rapports que vous avez déposé, des insuffisances
de la loi de 1892, vous avez raison. Il y a lieu toutefois
de faire deux remarques. La première est celle-ci
: tout ce qui concerne les droits et les devoirs des
pharmaciens a été renvoyé, par
le Parlement, à la loi sur l'exercice de la pharmacien.
En 1892, celle-ci semblait devoir venir prochainement
en délibération. Aujourd'hui, elle apparaît
réservée pour
(page
9) le contingent des loi destinées
à un très lointain futur.
La
seconde remarque est un peu plus délicate à
vous présenter. La loi de 1892 est incomplète
; mais permettez-moi de vous dire que c'est un peu de
votre faute. Les rapporteurs de la Chambre, au Sénat,
les commissaires du Gouvernement ont sollicité
leurs confrères de leur adresser des propositions
pouvant entrer dans un texte de loi ; nous avons reçu
nombre de lettres de lamentations dénonçant
des faits déplorables sans doute, mais aucune
proposition visant les mesures à prendre pour
les faire cesser.
Nous
avons obtenu que, dans la loi, on insérât
les deux conclusions votées par le Congrès
de 1845 : la suppression des officiers de santé
et la modification demandée à l'article
2101 du Code civil, réglant les honoraires du
médecin après la dernière maladie.
Grace à l'énergique
intervention de M. Émile Loubet, alors président
du Conseil des Ministres, nous avons obtenu que les
syndicats médicaux possèdent une existant.
Cette autorisation avaient été refusée
lors de la première et de la deuxième
délibération du Sénat.
Nous
avons fait rentrer, dans la loi, l'exercice de l'art
dentaire.
Nous
avons établi une définition plus précise
du délit d'exercice illégal de la médecine.
Mais
pas une seule proposition précise ne nous a été
transmise par le corps médical. Au moment où
a surgi la pensée de réunir ce Congrès,
nous avons fait appel à nos confrères,
en les priant de formuler leurs desiderata, aux membres
de la magistrature et du barreau, pour donner à
nos conclusion une forme juridique. Les résultats
auxquels nous sommes arrivés dans les travaux
préparatoires nous permettent de croire que,
lorsque sonnera l'heure de la révision de la
loi de 1892, vos futurs représentants serons
mieux armés que leurs prédécesseurs.
Messieurs,
si nous réussissons dans cet effort, qui certainement,
devra être suivi de plusieurs autres, le corps
(page
10) médicale en bénéficiera
; mais surtout, et c'est pourquoi nous faisons appel
au concourt de tous ceux qu'intéresse la santé
du peuple, les malades recevront les soins éclairés
que la législature a voulu leur assurer en édictant
la loi sur l'exercice de la médecine.
Messieurs,
je déclare ouvert le Congrès de 1906,
réuni pour la répression de l'exercice
illégal de la médecine.
Le
secrétaire générale, le Dr Levassort,
donna ensuite lecture de son rapport, dans lequel il
exposa la genèse du Congrès et son utilité
non seulement pour les médecins, mais surtout
pour les malades. Après avoir montré avec
quel élan les médecins et les groupements
professionnels ont répondu à l'appel du
Comité d'initiative, M. Levassort souhaita la
bienvenue aux deux cents congressites présents,
ainsi qu'aux délégués des associations
médicales des pays étrangers qui assistaient
à la séance d'ouverture.
Le
bureau provisoire ayant été maintenu à
titre définitif dans ses fonctions, le Congrès
commença immédiatement ses travaux.
Exercice
illégal par des rebouteurs, sorciers, toucheurs,
etc. _ Les rebouteurs sont, d'après
Littré,
"ceux qui, sans autre instruction de l'empirisme,
remettent les luxations, les entorses, les fractures".
A ces lésions, on doit ajouter les luxations
tendineuses, les synovites, les ruptures musculaires,
toutes affections ressortissant de la pathologie externe.
Le rebouteur peut être adroit, ce qui est loin
d'être la règle ; dans ce cas, s'il ait
à soigner une affection de peu de gravité
chez un sujet bien portant, une fracture simple, par
exemple, elle se consolidera sans trop de difformité
et assez rapidement ; la réduction a été
facile ; les massages pratiqués par une
mains exercée ont aider la nature, et la guérison
est survenu dans de bonne condition. Il en sera de même
dans certaines luxations et dans bon nombre d'entorses.
(page
11) Mais, le plus souvent, le rebouteur est
brutal et inhabile et aggrave les lésions qu'il
comptait réparer ; il transformera en fracture
complète une fracture incomplète ; par
suite d'une réduction mal faite, il laissera
se produire un cal difforme ou une speudarthrose. Le
membre, serré trop fortement par un bandage contentif,
sera envahi par le sphacèle. Quant aux fractures
juxta-articulaires, le rebouteurs les ignore et, le
plus souvent, les traite comme des luxations ; de sorte
que les tentatives de réduction aggravent toujours
les lésions et que les guérison fonctionnelle
est le plus souvent compromise.
Le
guérisseurs dit le Dr. Léon Pouliot, dans
son intéressant rapport (1), est un empirique,
soignant de préférence les maladies internes
au moyen de médicaments empruntés à
la nature. Les guérisseurs emploient de préférence
des remèdes végétaux ; ils administrent
des bouillons aux herbes, des simples triturés
à leur manière ou macérés
dans l'alcool. Les matières excrémentitielles
jouent un rôle considérable dans leur thérapeutique
; l'urine est souvent employée intus et extra
; la fiente d'un grand nombre d'animaux est d'un usage
courant ; les animaux immondes, vers de terre ou crapauds,
sont doués, au dire de ces charlatans, de propriétés
curatives indéniable.
La
tendance naturelle de beaucoup de maladies, même
graves, vers la guérisons est la cause des succès
des guérisseurs. Leurs remèdes sont, le
plus souvent, inoffensifs, et quelques-uns ont même
une légère action curative ; les tisanes
pectorales, ou sudorifiques, les purgatifs doux, les
diurétiques aident, dans une certaine mesure,
le malade à guérir. Cependant, à
côté de ces cas où les guérisseurs
n'ont pas été nuisibles, où "ils
ont laissé guérir leur malade", que
de fait désastreux, dans lesquels une médication
intempestive, pour une affection non diagnostiquée,
a entraîné un dénoûument fatal
qui aurait pu être évité ! (1)
L. Pouliot, L'exercice illégal par les rebouteurs,
sorciers et autres empiriques de même nature
(page
12)
Au-dessus
du rebouteur et du guérisseur, se trouvent les
sorciers et les toucheurs. Les sorciers
sont bons ou mauvais, et, à côté
du sorcier qui jette des sorts, il y a le bon sorcier,
le sorcier guérisseur, et, dans certaines contrées,
c'est vers lui que le paysan se retourne quand il a
épuisé les resources de la médecine
populaire et quand les autres empiriques et même
les médecins n'ont pas réussi à
le soulager.
Le
toucheur est un être prédestiné
qui, par l'imposition des mains et la récitation
de certaines formules, guérit, comme par enchantement,
les maladies les plus diverses, mais de préférence
les maladies externes, telles que les ulcers variqueux,
les dartres, les verrues, les anthrax, etc. Le plus
employé des attouchements est le signe de la
croix accompagnée d'une prière incohérente.
Voici le moyen de guérir les dartres. Le toucheur récite
:
"
les dartres vives et venimeuses, y en aurait-il dix-huit
espèces, je vous touche toutes à la fois.
Au nom du Père,... Notre Père,... Je crois
en Dieu (trois fois)."empirique
Pour
les brûlures :
"
le bon Dieu et saint-Jean passaient par une ville ;
ils trouvèrent un homme (ou une fille, ou un
garçon, suivant le cas) qui était brûlé
; et le bon Dieu dit à saint-Jean : " Buffe
(c'est-à-dire souffle) "cet homme trois
fois l'haleine de ton vent (à ce moment le toucheur
souffle trois fois sur la brûlure). Tu feras au
nom du Père et du Fils (le toucheur se signe),
et cet homme sera guéri !"
Les
toucheurs ne font aucun diagnostic, ne donnent pas de
médication ; ils n'agissent que par leur pouvoir
surnaturel. On a signalé des guérisons
qui, habillement exploitées, augmente la réputation
de ces empiriques.
La
crédulité populaire est telle que les
grossières roueries des sorciers leur permettent
de s'attribuer tout l'honneur des cures merveilleuses,
tout en déclinant la responsabilité des
insuccès. Si tel malade n'a pas guéri,
c'est qu'on a négligé une des prescription
importante du sorcier ; si tel autre a empiré,
c'est qu'il n'avait pas confiance.
Les
guérisons sont encore assez fréquentes.
Sans parler des
(page
13) malades qui eussent guéri spontanément,
il ne faut pas oublier que les grands nerveux sont beaucoup
plus nombreux dans la population rurale qu'on ne le
croit généralement. Les mômeries,
les formules magiques et la mise en scène des
toucheurs
et des sorciers peuvent radicalement guérir les
diverses manifestations de l'hystérie. Sans aller
jusqu'à la guérison complètes,
il peut y avoir une amélioration plus ou moins
considérable des symptômes, même,
dans les maladies organiques, dont les réactions
fonctionnelles peuvent être, comme on le sait,
considérablement amoindries par la thérapeutique
psychique.
Si
les sorciers et les toucheurs périssent quelquefois,
ils occasionnent rarement une aggravation de maladie
; leurs incantations ou leurs attouchements sont sans
conséquence, au contraire des manoeuvres tentées
par les rebouteurs. Ce que l'on doit reprocher surtout
à ces empiriques, c'est le préjudice morale
qu'ils porte à la pratique médicale, et,
en ce plaçant au point de vue exclusif des intérêts
du malade, il faut bien se souvenir que, le plus souvent,
il n'est pas indifférent qu'ils attendent des
semaines ou des mois avant de consulter un médecin
et recevoir les soins que réclame son état.
Quel
remède apporter ? Le Dr Pouliot pense que le
développement qu'ont pris les empiriques dans
certaines régions tient à la difficulté
des poursuites. En effet, le parquet n'ouvrira, pour
ainsi dire jamais, de lui-même, une instruction
contre un empirique, à moins qu'il ne soit saisi
d'une plainte formelle. Cette plainte émane parfois
d'un client un peu trop endommagé par le rebouteur,
mais cela est excessivement rare, et beaucoup d'estropiés
préfèrent se taire que de trainer en justice
le rebourteur qui les a rendus infirmes ? C'est donc
le médecin, ou plutôt le syndicat médical,
qui, dans chaque région, devra constituer une
sorte de dossier contre les empiriques ; il réunira
les charges et les témoignages contre les plus
compromis, de sorte que les poursuites ne seront engagées
qu'avec un très sérieux dossier à
l'appui ; elles seront surtout dirigées contre
(page 14) les récidivistes,
les individus coupables de coups et blessures ou d'escroquerie.
Ce
qui fait la force des empiriques c'est l'ignorance populaire
: il serait bon de répandre dans le public les
méfaits des rebouteurs et surtout de montrer
que ce n'est pas le médecin, représentant
de la science officielle qui en souffre le plus, mais
le malade, qui ne reçoit pas les soins auquel
il a droit. Le Dr. Pouliot pense qu'à ce point
de vue l'instituteur pourrait rendre de grand services
; cependant, et c'est là l'avis des médecins
exerçant dans les contrées où l'exercice
illégal est le plus florissant, il faudrait tout
d'abord faire l'éducation de l'instituteur lui-même,
car souvent on a signalé le cas de maîtres
d'école qui, lorsqu'un accident survenait parmi
les enfants dont ils avaient la garde, conduisaient
le petit blessé directement chez le rebouteur
non chez le médecin. Pour remédier à
cela, le Congrès a émis le vœu :
que
les syndicats médicaux, d'accord entre eux rédigent
un travail montrant tous les dangers des manoeuvres
de rebouteurs, guérisseurs, toucheurs
et sorciers etc., et demandant au ministère de
l'Instruction public que cet ouvrage fasse partie du
programme des écoles normales d'instituteurs
et des écoles primaires.
Maurice
de Lyon pense que les médecins aident puissamment
au recrutement des rébouteurs en dehors des familles
de rebouteurs, où la pratique de l'exercice
illégale se transmet de père en fils,
la plus part des rebouteurs sont d'anciens infirmiers
qui ont appris le peu qu'ils savent dans les services
hospitaliers ; il en est même qui exhibent, encadrer
dans le lieu où ils opèrent, un certificat
de médecin dans lequel il est dit que M. X...
est apte à soigner les malades, etc... Le médecin
ne devrait jamais fournir de tels certificats qui sont
extrêmement dangereux. Comme sanction à
son rapport, Pouliot émet les voeux suivants,
qui sont adoptés par le Congrès :
Le
nombre et l'audace croissant des empiriques font aux
(page 15) médecins un impérieux
devoir de lutter contre cette forme de l'exercice illégal.
Les
médecins isolés ont peu de chance de réussir
dans cette tâche ; ils risquent, en outre, de
s'attirer des désagréments parfois sérieux.
Les
syndicats médicaux devront donc :
a.
Inviter leurs adhérents à porter à
la connaissance du Bureau tous les faits d'exercice
illégal ;
b.
Constituer ainsi un dossiers contre tous les empiriques
de la région ;
c.
Rassembler des charges et des témoignages contre
ceux des empiriques qui paraîtront les plus compromis
; recourir, dans ce but, à tous les moyens mis
par la loi à notre disposition.
Les
poursuites judiciaires ne seront engagées qu'avec
un très sérieux dossier à l'appui.
Elles seront surtout dirigées contre les récidivistes
ou les individus coupables de coups et blessures et
surtout d'escroqueries.
Le
Dr. Poulliot avait encore proposé le voeux que,
dans les deux derniers cas, le syndicat demande, outre
des dommages-intérêts, l'affichage du jugement
aux frais du condamné, dans toutes les communes
du canton il a exercé illégalement la
médecine.
Rocher
a fait judicieusement remarqué que l'affichage
constitue une augmentation de la pénalité,
et que, pour que l'affichage puisse être réclamé,
il fallait que cette disposition soit inscrite dans
la loi. En conséquence, ce voeux a été
renvoyé au moment où le Congrès
discuterait des modifications à apporter à
la loi du 30 novembre 1892.
Magnétiseurs
et somnambules. _ Le Dr. Barbanneau
(de Pouzauges) a particulièrement dans son rapport
(1) l'exercice illégal de la médecine
par les somnambules et magnétiseurs. Ces pratiques
délictueuses sont visées par l'article
16 de la loi de 1892. Les jugements rendus furent variables.
En 1893, le zouave Jacob, qui prétendait
posséder dans le regard un fluide magnétique
(1) Barbanneau, Exercice illégal de la médecine
par des charlatans,
rebouteurs, somnambules et magnétiseurs.
(page 16) capable de guérir tous les
maux et qui pratiquait des passes magnétiques,
imposition de mains, légers attouchements, etc.,
fut poursuivit pour exercice illégal. Cet individu
avait déjà été plusieurs
fois condamné pour exercice illégal, en
vertu de l'article 35 de la loi du 19 ventôse1,
an XI, et il prétendait que nulle disposition
de la loi de 1892 qui, au moment des poursuites, n'étaient
pas encore exécutoires, ne punissaient les pratiques
de magnétisme. Les juges condamnèrent,
et il été spécifier dans le jugement
:
"Qu'il
appert
des travaux préparatoires de la loi que, si le
législateur n'a pas voulu réserver aux
médecins les expériences de magnétisme
et d'hypnotisme, c'est à la condition que les
profanes resteraient dans le domaine des expériences
purement scientifiques et n'entreraient pas dans celui
de la médecine proprement dit, c'et-à-dire
ne se serviraient pas du magnétisme et de l'hypnotisme
pour exercer la profession de guérir."
Le
Tribunal de Lille en 1897, suivit cette jurisprudence.
Malheureusement, les tribunaux n'ont pas toujours rendu
des jugement aussi conformes au texte comme à
l'esprit de la loi. A l'occasion de poursuites contre
une femme Blin, en 1894, et de l'affaire
Mouroux,
en 1897, la cour d'Appel d'Angers acquitta les prévenus,
parce qu'ils n'avaient donné aucun traitement
et ne s'étaient livrés, sur les malades,
à aucune opération chirurgicale. De sorte
que ces juges pensent qu'il n'y a traitement d'une maladie
que lorsqu'il y a remise de drogues, ou d'opération
chirurgicale. Cette interprétation est erronée.
D'après la définition donnée par
Littré, le mot traitement "se dit des moyens
physiques ou moraux employés pour guérir,
atténuer ou abréger une maladie".
Hors le magnétisme semble bien rentrer dans le
cadre des traitements moraux.
L'arrêt
rendu par la Cour d'Appel d'Angers, concernant Mouroux,
fut cassé par la Cour de Cassation, et le Tribunal
de Rennes, devant lequel il reparu, le condamna. Depuis
cette époque, les magnétiseurs se sont
efforcés d'intéresser le Parlement à
leur cause, et ils arrivent à dire qu'interdire
1 note du
CFDRM : le 19 ventôse de l'an XI correspond au
Cerfeuil du 9 mars
de la onzième année du calendrier républicain
en vigueur de 1789 à 1805, en effet à
chaque jour avait été octroyé un
nom de plante. En voir la liste
(page 17) aux masseurs et
aux magnétiseurs l'exercice de leurs facultés
curatives serait synonyme de l'interdiction de
la liberté de penser, ce qui est manifestement
exagéré.
D'autre
part, les études que font les magnétiseurs
sont tellement insignifiantes que ce serait prendre
une lourde responsabilité que des les autoriser
à exercer leur art soit-disant curatif. Le Dr.
Barbanneau cite le cas d'une
école de magnétisme dans laquelle on peut
être admis sans avoir fait aucune étude
préalable. Bien entendu, on paye 75 francs pour
le cours et 25 francs pour l'examen ; la durée
des études est de deux ans ; et il semble qu'il
y ait des accommodements, car il est dit dans le programme
: "Les """élèves inscrits
ne seront pas tenus à suivre régulièrement
les cours ; ils peuvent apprendre chez eux, au moyen
de cours et de traités spéciaux contenant
le programme des études, et venir seulement aux
répétitions de la dernière quinzaine
et même de venir qu'à l'examen." Le
Dr. Barbanneau conclut que
les médecins doivent demander le maintien de
l'article 16 de la loi sur la médecine, tel qu'il
est et tel que l'a interprété la Cour
de Cassation.
Au
sujet de cette communication, M. Cornet, avocat de Mlle
Bar, la voyante de Saint-Quentin, qui a été
poursuivie pour exercice illégale de la médecine,
est venu exposer les faits de cette cause, qui a eu
un retentissement considérable dans toute la
région du Nord. Mlle Bar, endormie par son père,
possède, paraît-il, la curieuse faculté
de reconnaître, de voir au travers des tissus,
les organes malades et de donner des traitements pour
les maladies ainsi diagnostiquées. Au cour du
procès, le Dr Magnin fut commis à l'effet
d'examiner la voyante, et, suivant la demande du défenseur,
pour expérimenter sur des malades la faculté
spéciale de Mlle Bar. Le Dr Magnin, qui, au Congrès,
est venu répondre à M. cornet, a examiné
Mlle Bar et a reconnu qu'elle présentait au plus
haut degré tous les signes carac-
4e série _ Tome VI. _ 1906. N°1.
(page 18) téristiques de la
grande hystérie ; elle été très
facilement hypnotisable ; son sommeil provoqué
était réel. Il s'agissait donc simplement
d'une jeune fille hystérique, dont la maladie
était exploitée par son père, qui
abusait avec sa complicité, de la crédulité
publique. En ce qui concerne les expériences
à faire auprès des malades, le Dr Magnin
c'est absolument refusé à les reprendre,
ne voulant pas, dit-il, dans une affaire sérieuse,
jouer un rôle absolument ridicule, et, d'autre
part, parce que l'expérience ne pouvait rien
prouver. Nous n'entrerons pas dans de plus grands détails
et nous n'insisterons pas sur le rôle d'un médecin,
qui, entreprenant seul des expériences
sur Mlle Bar est venu au Tribunal présenter les
résultats d'une contre-expertise infirmant les
conclusions du rapport du Dr Magnin. Des expériences
faites dans ces conditions, le médecin seul avec
la malade n'ont aucune valeur. Mais c'est l'habitude
de ce médecin d'opérer ainsi ; il ne peut
jamais pratiquer des expériences dont-il annonce
les résultats devant un tiers, car la présence
d'une tierce personne compromet l'expérience
; il paraît que les fluides émanant du
spectateur portent le bouleversement dans les fluides
émanant de l'opérateur du sujet en expérience.
Le
Dr Magnin a montrer que les médications soi-disant
thérapeutiques de cette femme n'ont pas toujours
été sans danger ; enfin il a ajouté
que le père de Mlle Bar encourait une lourde
responsabilité, si plus tard sa fille présentait
des troubles cérébraux occasionnés
ou augmentés par ces séances hypnotique.
Exercice
illégal par les personnalités laïques
ou religieuses dans un but de charité
(1). _ La question est assez délicate ; avant
1892, la question été réglée
par un arrêt du Conseil d'État du 8 vendémiaire²,
an XIV, qui disait que les ministres du culte "n'avaient
rien à craindre
(1) Bruno-Dubron, Des
faits reprochables d'exercice illégale de la
médecine commis par des personnalités
laïques ou religieuses dans un but ou sous prétexte
de charité. ²
note du CFDRM : le 8 vendémiaire de l'an
XIV correspond au 29 septembre de la seizième
année du calendrier républicain en vigueur
de 1789 à 1805 et porte le nom d'Amaranthe,
en effet à chaque jour avait été
octroyé un nom de plante. En voir la liste
(page 19) (des poursuites
de ceux qui exercent l'art de guérir ou du ministère
public chargé du maintien des règlements,
puisqu'en donnant seulement des conseils et des soins
gratuits ils ne font que ce qui est permis à
la bienfaisance et à la charité de tous
les citoyens, ce que nulle loi ne défend, ce
que la morale conseille, ce que l'administration provoque
et qu'il n'est besoin, pour assurer la tranquillité
des curés et de desservants, d'aucune censure
particulière". Sous l'empire de la loi de
ventôse, les poursuites étaient donc absolument
impossibles au grand dommage des malades. Dans le département
du Morbihan, a rapporté le Pr Brouardel,
on compte environ cent cinquante pharmacies illégalement
tenues par des soeurs. Que s'est-il produit ? Les malades
ne sont plus venus cherchés le médecin,
tous sont allés à la pharmacie religieuse.
Ceux
qui n'avaient rien ou peu de choses ont été
guéris ; les autres, plus gravement atteint,
ne se sont rendus à la consultation médicale
que trop tard pour être guéri ; les autres,
plus gravement atteints encore, ne se sont plus rendus
à la consultation du médecin que trop
tard pour pouvoir être sauvé d'une affection
qui aurait pu être bénigne, si elle avait
été prise au début. Les docteurs,
voyant leurs consultants diminuer de jour en jour, quittèrent
le pays, de sorte, ajoute le Pr Brouardel, qu'une
épidémie de choléra étant
survenue il fut très difficile de prendre les
mesures sanitaires nécessaire à cause
du manque de médecins.
Dans
une de ces sortes de cliniques gratuites du Morbihan,
une soeur se trompa de médicament, et la potion
qu'elle fit absorber à six petits enfants atteints
de mal de gorge entraîna la mort de quatre d'entre
eux.
Aujourd'hui
c'est faits sont devenus beaucoup plus rares, et, si
la loi ne permet pas des poursuites contre la personne
qui donne d'urgence des soins à un malade, elles
peuvent être engagées dès que le
délit d'habitude est constaté.
Le
Dr Dangou (de Nice) rapporte le fait suivant : "Le
desservant d'un petit village du midi est considéré
comme
(page
20) un guérisseur de premier ordre
; hors, voici dans quelles conditions s'était
manifesté pour la première fois ce don
surnaturel. Une de ces paroissienne était un
jour venue le trouver, lui disant que son âne
refusait de rentrer dans son écurie. Le desservant,
sans doute fort embarrassé, dit à cette
femme qu'elle retourne chez elle et qu'il allait faire
le nécessaire. La femme, arrivée à
sa maison, trouve son âne revenu à des
meilleurs sentiments, dans son écurie. Avoir
vaincu à distance la résistance d'un âne
sembla merveilleux ; le desservant fut sacré
grand homme, et, depuis, on vient de loin, lui demander
conseils et consultations." On ne peut dire que
ces conseilles sont désintéressés,
car, dans bien des cas, si le malade ne paye pas toujours
en argent les soins qui lui sont donnés, il les
paye en nature, et un congressiste a rapporté
le cas d'un desservant qui, chaque semaine, fait vendre
au marché toutes les denrées que lui rapporte
la pratique de l'exercice illégal de la médecine.
Exercice
illégal par les membres des sociétés
de secours aux malades et aux blessés (1).
_ Les sociétés don't le but est de porter
secours aux blessés et aux malades sont en nombre
considérable ; leur but humanitaire est des plus
louable.
Les
unes restreignent leur action à secourir les
blessé de terre et de mer et à venir en
aide aux victimes de calamités publiques. Les
autres secours les malades et les blessés de
la rue, des promenades, de l'atelier, de l'usine, les
asphyxiés, les noyés. Les premières
constituent la Croix Rouge Française.
Elles comprennent, par ordre d'ancienneté : la
Société de secours aux blessés
militaires des armées de terre et de mer
fondée en 1864 ; l'Association des Dames françaises
(secours aux militaires blessés ou aux malades
en cas de guerre, secours aux civils en cas de calamité
publique et de désastres), fondée en 1879
; enfin l'Union des femmes de France.
Dans
le second groupe, se trouvent les diverses sociétés
de sauvetage : la Société française
de sauvetage, fondée en 1879, avec ses
(1) Rapport du Dr Dignat.
(page
21) nombreuses sections à Paris
et dans les départements ; la Société
nationale de sauvetage, fondée en 1887 ;
la Société des secouristes français
ou Infirmiers volontaires, fondée en 1892
; l'Association des Ambulanciers de France, fondée
en 1896 ; la Société des Hospitaliers
sauveteurs ; la Société polytechnique
de sauvetage etc. La plus part de ces sociétés
se divisent en sections et sous-sections. Presque toutes
sont reconnues d'utilité publique ; presque toutes
aussi reçoivent de l'Etat des encouragements,
justifier par la nécessité qu'il y a de
développer les idées de dévoûments
et d'abnégation.
Ces
sociétés sont fort utiles et fort recommandables
; la seule chose que l'on peut leur reprocher c'est
que l'enseignement qui est donné aux personnes
qui en font partie, au lieu de rester circonscrit dans
les limites qu'il conviendrait de ne pas franchir, embrasse
un camp beaucoup trop vaste. C'est ainsi que, dans le
programme d'études d'une des trois associations
de la Croix-Rouge, six leçons sont données
sur les maladies du système nerveux, les maladies
de la peau, de l'appareil digestif, de l'appareil respiratoire,
etc. Il est à craindre que ces courts, qui s'adressent
à des personnes qui n'ont pas été
préparées à ce genre d'études,
amènent les auditeurs à se persuader qu'ils
possèdent de véritables connaissances
médicales, de sorte que, au lieu de préparer
de bons infirmiers et de bons gardes-malades,
il est à craindre. Qu'on ne crée une foule
de médicastres,
dont la fausse science peut devenir très préjudiciable.
A
la suite de ce rapport, le Congrès émet
un voeu invitant les sociétés de secourt
à mettre plus de circonspection dans l'établissement
des programmes de leurs courts médicaux, qui
ne devraient comprendre que l'enseignement des notions
conforment aux rôles de ces auxiliaires éventuels
du médecin.
Exercice
illégal par les infirmiers, infirmières,
gardes-malades, etc. (1) _ Le Dr Noir
pense également que Noir,
Exercice illégal par
les infirmiers, infirmières, gardes-malades,
etc. (page 22) les manuels destinés
à l'éducation des infirmiers et gardes-malades
ne répondent pas aux fonctions qu'ils sont appelés
à remplir. Dr Noir signale un manuel des infirmières
fort bien conçu, mais beaucoup trop développer
:
Il
faut évidemment que l'infirmière sache
que l'estomac n'est pas la poitrine, et à quel
endroit se trouvent, le foie et les reins. Il faut qu'elle
connaisse en quoi consistent les diverses fonctions,
mais tout cela doit lui être sommairement exposé
en quelques leçon. L'auteur du Manuel des
Infirmières en juge autrement, il désire
que l'infirmière connaisse le développement
des os, les systèmes de Havers,
le rôle des fibres de Sharpey,
celui des nédullocelles et des ostéoblaste
de Gegenbaur (page 23 du Manuel).
Il ne sauraient passer sans rappeler aux infirmières
que pour Virthow (de Berlin),
la cellule osseuse est une cellule complète avec
membrane ; que Renvier (de Paris)
en fait une masse protoplasmique pourvue d'un noyau,
tandis que Renaut (de Lyon) l'assimile
aux cellules plates du tissu conjonctif (page 25). Tournons
les pages, arrivons au coeur : l'infirmière,
en parcourant son manuel, apprendra que, si l'on représente
par 10 la durée d'une révolution cardiaque,
la systole de l'oreillette rapide représente
les 2/10 de la durée, celle du ventricule les
6/10, tandis que la diastole ou repos du ventricule
n'est que de 2/10 (pages 295 et 296). Si nous arrivons
au système nerveux, nous y trouverons exposés
les localisations cérébrales, les dégénérescences
et la loi de Waller, les centres
psychomoteurs, etc.
Le
deuxième volume intitulé Petite Chirurgie,
Pansements Bandages, est conçu dans le même
esprit. Le rôle des microbes y est parfaitement
résumé avec figures à l'appui.
L'infirmière qui apprendra que le staphylocoque
doré se colore bien par le violet de gentiane
et prend il Gram, il est surtout aérobie, qu'il
pullule bien à 37 et 38°, germe sur la gélatine
Peptone en plaques ou en tubes en quarante-huit heures
( pages 14 et 15) ; elles sauront que Gabriel Roux
et Rodet ont affirmé la ressemblance
du Bacillus Typhosus avec le colibacille d'Escherich. Plus loi, elles pourront
lire le diagnostic de l'eczéma, qui relève
de la thérapeutique analeptique et reconstituante
et se convaincre que le professeur Hardy,
Colson de Beauvais a conseillé
l'emploi de la toile en caoutchouc dans le traitement
des dermatoses.
Tout
cela n'est point nécessaire à l'infirmière
qui a un rôle extrêmement utile, indispensable,
mais très limité ; elle est l'aide du
médecin, dont elle doit suivre les prescriptions
(page 23) avec une obéissance passive.
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