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Journal non acquis TITRE : Le petit journal , supplément illustré ; un quotidien parisien républicain et conservateur, fondé par Moïse Polydore Millaud, qui a paru de 1863 à 1944. AUTEUR : Moïse Polydore Millaud (1813-1871) ÉDITEUR : Le petit journal. Date d'édition : 21 novembre 1915, 26eme année N° 1300. Lieu d'impression : n-c. LANGUE : français FORMAT : huit pages, 31 x 44 cm ISBN : aucun Droits : libres Crédit photographique : Le CFDRM. Identifiant : http://www.cfdrm.fr Numéro d'archives : RELIURE : papier. ILLUSTRATIONS
: oui, deux illustrations
(R°-V°) en couleurs ainsi que des photos en pages centrales,
se rapportant à l'actualité et aux nouvelles du Front.
massage. ETAT : non acquis. BIOGRAPHIE & THÈME : quotidien parisien (1863-1944). POIDS : Résumé : Description : General Gallieni, Gouverneur de Paris (Septembre 1914-Octobre 1915) Ministre de la Guerre. Commentaires : L'article à ceci d'intéressant qu'il donne des informations sur le parcours de Valentin Haüy mais mentionne aussi les masseurs aveugles du Japon. |
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Provenance : _ Incorporation : non acquis, vu à ?€. Accès à l'emprunt : Non. Statut de l'ouvrage : _. Reconnaissance associative : |
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VARIÉTÉ
Les soldats aveugles
gagneront leur vie
- L'éducation pratique des aveugles.
- Valentin Haüy et la foire Saint-Ovide.
- Les professions que les soldats aveugles pourront exercer.
- Le travail consolateur.
Parmi toutes les initiatives prises en faveur des victimes de cette
guerre, celle qui s'est donné pour but de faire l'éducation pratique
des soldats aveugles et de les mettre en état de travailler et de gagner
leur vie en dépit de l'infirmité dont ils sont atteints, n'est
ni la moins touchante, ni la moins féconde.
On sait combien nombreuses
sont les blessures à la face, et quels miracles accomplit chaque jour
la chirurgie qui refait, les tissus, restaure les nez, reconstitue les mâchoires.
Mais, hélas ! on ne rend pas les yeux à qui les a perdus. Et beau
coup d'yeux se sont éteints sous l'atteinte des projectiles, des liquides
enflammés, des gaz corrosifs que la barbarie allemande a inventés.
Du moins, l'ingéniosité et la pitié humaine interviennent-elles
là où la science médicale est impuissante. Et les aveugles
victimes de la guerre en font l'heureuse expérience.
La cécité
fut, de tous temps, entre toutes les infirmités, celle qui éveilla
chez les « clairvoyants » la commisération la plus profonde
et la plus spontanée.
Or, cette pitié va quelquefois plus
loin que ne le souhaiteraient les aveugles eux-mêmes, cette pitié
dépasse son but lorsqu'elle s'appuie sur certain préjugé
qui consiste à regarder l'aveugle comme un être inférieur,
incapable de se conduire dans la vie, et dont les facultés morales et
intellectuelles sont atrophiées, du fait même de son infirmité.
Cette opinion, malheureusement trop répandue encore, blesse le légitime
amour-propre des aveugles.
S'ils n'ont point la faculté de voir,
ils ont celles de toucher et de sentir, infiniment plus développées
qu'elles ne le sont chez les clairvoyants. « Nous voyons avec nos doigts
», me disait un aveugle. Et l'expression est d'une justesse absolue, car
le sens du toucher prend chez eux une acuité qui tient du prodige.
Quant au moral et à l'intellect de l'aveugle, ils n'ont à souffrit
en aucune façon de son infirmité. Quiconque connaît des
aveugles instruits a pu se convaincre que presque toutes nos connaissances sont
à leur portée, et qu'en certains a arts, la musique, par exemple,
ils se montrent supérieurs à la moyenne des clair-voyants.
L'infirmité n'influe même pas sur le tempérament de l'individu
comme il arrive notamment pour les sourds-muets et chacun sait que les aveugles
gais ne sont pas rares.
Demandez à tous ceux qui ont visité
les hôpitaux où sont soignés nos soldats aveugles : ils
n'ont pas été peu étonnés d'y trouver de la jovialité,
de la bonne humeur, d'y entendre fredonner des chansons.
Enfin, l'aveugle,
éduqué dans l'une des trente-deux écoles qui existent aujourd'hui
en France, ou qui a passé dans l'un des ateliers pour l'apprentissage
professionnel, est capable de se suffire en travaillant.
Avant la guerre,
près d'un millier d'aveugles gagnaient ainsi leur existence et même
souvent celle de leur famille.
Cela prouve que l'aveugle n'est pas uniquement,
comme on l'a cru trop longtemps, un embarras et une charge pour la collectivité
et qu'il est capable d'apporter, lui aussi, son humble pierre à l'édifice
social.
La sollicitude en faveur des aveugles ne date pas de bien loin.
C'est un sentiment relativement moderne. Les siècles passés eurent
quelquefois pitié des malheureux privés de la vue, mais leur pitié
n'allait pas plus loin qu'une banale charité. On hospitalisait les aveugles,
on les nourrissait, et c'était tout. On ne songeait pas qu'une éducation
appropriée pouvait peut-être rendre ces infortunés à
la vie sociale en leur permettant de s'instruire et de travailler.
Parfois
même, leur infirmité servait à divertir les clairvoyants.
L'un des jeux préférés du moyen âge était
le combat des aveugles contre un cochon. On enfermait dans une enceinte un porc
et quelques aveugles armés de bâtons. Le porc était à
celui d'entre eux qui parviendrait à l'assommer. Et la foule s'esclaffait
de voir ces malheureux se bâtonner les uns les autres. Temps horrible
où le peuple n'avait de pitié ni pour les bêtes ni pour
les hommes, et où la plus douloureuse des infirmités servait de
jouet aux foules.
A la fin du XVIIIe siècle, en dépit des
progrès de la philosophie et de l'humanitarisme de Rousseau, ces vilaines
moeurs n'avaient pas complètement
disparu. Et les aveugles servaient encore d'amusement au populaire.
En l'an 1782, on pouvait
voir à la foire Saint-Ovide, qui se tenait sur l'emplacement actuel de
la place Vendôme, une loge tenue par un baladin du nom de Valindin, portant
cette enseigne :
« Grand concert extraordinaire, exécuté
par un détachement des Quinze-Vingts ».
Et, au-dessous, ces vers :
Vous tous à qui de plaire il est si difficile,
Apprenez
qu'en ces lieux on donne du nouveau.
Que jamais, autre part, un spectacle
plus beau
Ne fut aperçu dans la ville.
Ce spectacle si beau était en réalité un spectacle odieux qui nous révolterait aujourd'hui.
Il consistait en ceci : sur une estrade, une douzaine d'aveugles vêtus
d'oripeaux de couleur, coiffés de chapeaux pointus grattaient des instruments
à cordes et chantaient à tue-tête. C'était une épouvantable
cacophonie. Et pour rendre le spectacle plus drôle, apparemment, ils portaient
sur le nez d'énormes bésicles sans verre et avaient devant eux
des pupitres garnis d'une chandelle et d'une partition qu'ils ne pouvaient pas
lire. C'était le fin du fin de l'esprit. On ridiculisait l'infirmité
de ces malheureux.
Et la foule se pressait et s'amusait follement dans la
baraque du sieur Valindin.
Pourtant, il advint qu'un jour un jeune Picard
nommé Valentin Haüy, qui était interprète du roi pour la traduction des
langue étrangères, étant entré au concert des aveugles
fut indigné par le mauvais goût et la cruauté d'un tel spectacle.
Poursuivi par la douloureuse impression qu'il avait ressentie, Haüy chercha
le moyen d'arracher les aveugles à cette odieuse exploitation et de les
éduquer pour leur permettre de gagner leur existence. Il chercha et il
trouva. Pourquoi, se dit-il, le tact ne remplacerait- il pas les yeux, et les
aveugles ne pourraient-ils pas acquérir par le toucher ce que les clairvoyants
acquièrent par la vue.
Un jeune aveugle qui mendiait fut son premier
élève. En six mois, il parvint à lui apprendre à
lire la musique et à fabriquer du ruban.
L'aventure fit du bruit.
Haüy avait pris d'autres disciples. Le roi voulut les voir. Il fut émerveillé.
Le lendemain, l'Institution royale des aveugles travailleurs était fondée.
Haüy est l'inventeur de l'impression en relief, mais l'alphabet composé
de points en relief qui est aujourd'hui universellement employé est l'oeuvre
d'un des élèves de l'école qu'il avait fondée, Louis
Braille. Cet ingénieux système qui s'étend non seulement
aux lettres mais encore aux chiffres et à l'écriture musicale,
permet aujourd'hui d'acquérir toutes les connaissances que l'on donne
aux clairvoyants dans nos écoles.
***
Ainsi, vous le voyez, il n'y a pas beaucoup plus d'un siècle
qu'on a tenté pour la première fois d'arracher les aveugles à
la douloureuse condition que leur faisait leur infirmité. Auparavant,
personne ne s'en était préoccupé. Sans doute, il y avait
eu, avant Haüy des aveugles capables de se rendre utiles et d'acquérir
dignité indépendance ; il y en avait eu dans tous les temps et
dans tous les pays.
Au Japon, notamment, depuis la plus haute antiquité, presque tous les
aveugles sont masseurs, si bien que l'on demande indifféremment le masseur ou l'aveugle. Et, comme les masseurs sont là-bas des gens fort achalandés, il en résulte
que les aveugles réalisent de beaux bénéfices.
Mais
chez nous, et, en général, dans tous les pays d'Europe on n'avait
pas même songé à utiliser cette délicatesse du toucher qui est si remarquable chez les aveugles.
L'initiative de Valentin
Haüy et l'heureuse invention de Braille devaient ouvrir aux aveugles bien
d'autres carrières.
C'est par l'enseignement de l'alphabet qu'on
commence l'éducation des soldats aveugles. Après quoi on les aiguille,
suivant leurs aptitudes vers l'une des professions que les aveugles peuvent
aisément exercer.
L'Association Valentin Haüy, qui a pour but
de venir en aide de toutes façons aux malheureux atteints de cécité
s'est dévouée à cette tâche humanitaire. Cette oeuvre,
fondée par un aveugle, M. Maurice de La Sizeranne, ardent philanthrope
et écrivain distingué, ne se contente pas seulement d'aider les
aveugles surtout en les mettant en état de travailler ; elle s'attache,
comme corollaire à montrer au grand public que la privation de la vue
n'est pas fatalement une condamnation à l'impuissance.
C'est ainsi
qu'elle vient d'exposer les premiers travaux accomplis par les aveugles de la
guerre. Les résultats pratiques de l'éducation donnée à
ceux qui ont perdu la vue, y sont apparus vraiment extraordinaires.
Tel
soldat, aveugle depuis moins d'une année, est déjà un habile
ouvrier.
Il est merveilleux de voir comment les aveugles font, dans l'obscurité,
tant de choses pour lesquelles on s'imagine que la vue est nécessaire.
Car les professions que peuvent exercer les aveugles saut plus nombreuses qu'on
ne le croit généralement. Par ouï dire, on sait bien qu'il
y a des aveugles brossiers, accordeurs de pianos, fabricants de sacs en papier,
mais on ignore que leur intelligence et leur activité peuvent s'exercer
sur maints autres objets. Sait-on que, sans y voir, on peut être tonnelier,
couteliers, matelassier, qu'on peut coudre des vêtements, voire même
les tailler, faire la cuisine, qu'on peut lire avec les doigts presque aussi
vite que nous lisons avec les yeux, qu'on peut même faire de la sténographie
et de la machine à écrire ?
Dans un esprit de solidarité
qu'on ne saurait trop admirer, les aveugles instruits, les aveugles habiles
dans ces divers métiers sont constitués les éducateurs
bénévoles des soldats qui ont perdu la vue au champ d'honneur.
C'est là de la charité dans le sens le plus noble et le plus haut
de l'expression.
Ainsi, nos soldats atteints de cécité, pourront,
malgré leur infirmité, participer encore à la vie sociale,
avoir un but dans l'existence. Ils ne seront pas réduits à ne
devoir leur pain qu'à l'assistance, et leur dignité n'aura pas
à souffrir de cette pénible nécessité. Ils pourront,
s'ils le veulent, travailler, apprendre un métier, gagner leur vie.
*N'est-ce pas la plus belle consolation qu'ils pouvaient espérer dans le malheur qui les a frappés ?
Ernest LAUT (1864-1951).