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Je ne suis pas Charlie.
Une question d'anticorps

Par Alain Cabello-Mosnier.
P/O le
CFDRM
Libre de droits non commerciaux.

 

Rédigé à Paris le : dimanche 11 janvier 2015

 

Introduction

Une question d'anticorps
Par Alain Cabello.

Ce mercredi 7 janvier 2015 en fin de matinée deux hommes perpètrent un indicible carnage dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo à Paris, et tuent douze personnes dont deux policiers, quatre autres sont grièvement blessés à la kalachnikov et un ressort indemne. Une longue fin de semaine s'engage alors avec trois jours de deuil national, faite d'émotions, de condamnations, de curiosités, mais aussi de traque à l'américaine parfaitement bordée par l'indécence d'une presse hystérique et fascinée. Un second individu se dissout dans ses fantasmes de mondes éternels en emportant avec lui la vie de quatre autres victimes.

A l'instar tous les français j'ai vécu cela avec horreur, désemparement ; Cabu Information ouverte dans une nouvelle page, ils ont osé tuer Cabu ; c'est à partir de là qu'apparaît le très beau slogan "Nous sommes tous Charlie Information ouverte dans une nouvelle page". La France entière s'en empare avec passion, on va même aller jusqu'à scruter l'émotion du reste de la planète comme promesse de la légitimité de notre douleur, lire la Une des autres médias et savoir si le chagrin français était devenu celui de l'univers.

I am Charlie repris partout "même en anglais" ce qui semblerait être une référence à part que sur Google image, rien, nothing, pas une photo avec la désormais célèbre maxime.

Sur mon mur Facebook mes contacts ne parlent plus que de ça. Ils sont tous devenus Charlie, je n'ai quasiment plus qu'un Charlie, spéculaire qui se reflète à l'infini sur la toile. Charlie Hebdo Information ouverte dans une nouvelle page est devenu Charlie bédo. Tous le monde se shoot à la fumé des tires de ces énergumènes. Oui mais alors moi là, le petit être humain tout seul que je suis, militant homosexuel et de gauche de toujours, où est-ce que je me situe ?

Ma consternation est totale bien sûr et je suis aimanté dans un premier temps par les informations qui me submergent, mais très vite, je capte des anomalies de langage, des raccourcis spectaculaires qui me conduisent à prendre mes distances avec ces commentateurs qui donnent dans la surenchère et dans le sensationnel, ce n'est plus de l'information rigoureuse avec le recul qui s'impose, c'est un narguilé-informationnel fumé entre amis survivants d'un sofa.

Il se produit alors un phénomène que je connais bien chez moi lorsque le champs magnétique de ma pudeur entre progressivement en conflit avec celui des autres comme deux aimants qui s'opposent.

A force d'arroser Charlie Hebdo de larmes volées à l'intime et du sang de ceux qui l'on réellement versés, il se forme un coulis sirupeux qui enlève toute spontanéité à l'effroyable réalité.

 

Charlie entres dans ce corps !

On commence à me regarder d'un oeil suspicieux Information ouverte dans une nouvelle page, il semble que je doive devenir Charlie comme il fallait être rhinocéros Information ouverte dans une nouvelle page dans Ionesco Information ouverte dans une nouvelle page mais je n'y parviens pas.

Non, non décidément, je ne suis pas Charlie, je pousse comme je chie pour l'être mais rien n'y fait, je suis et je reste Alain Cabello.
Lors des manifestations que j'ai pu faire dans ma vie j'ai toujours été réticent à répéter les slogans des autres, ces scansions sont de l'appris par coeur, ça ne vient pas de moi, je récite ma prière laïque et ma voix n'est plus qu'un organe que je délègue.

 

En plus de cette facticité relative, puisque le fond est suprêmement juste, des chefs d'Etats se joignent à notre tristesse alors que la plupart d'entre-eux n'en ressentent aucune, pire, ils bafouent joyeusement les droits dans leur propre pays, alors vous imaginez l'intérêt qu'ils portent à la caricature en France...

Que Angela Merkel Information ouverte dans une nouvelle page, Chancelière d'Allemagne ou encore David Cameron Information ouverte dans une nouvelle page 1er ministre Britanique et quelques grands chefs d'Etats et de Gouvernement Européens soient là, ok, ce-sont des partenaires économiques de première ligne mais le Hongrois Viktor Orban Information ouverte dans une nouvelle page, qui met son pays sous coupe réglé, le Premier ministre israélien Netanyahu Information ouverte dans une nouvelle page qui, à peine arrivé en France, la veille-même de cette manifestation, appelle les juifs à quitter ce pays pour venir dans le siens si conservateur des droits qu'il ne les partages qu'avec une minorité, le gabonais, Ali Bongo Information ouverte dans une nouvelle page qui ne doit même pas savoir comment s'écrit le mot démocratie et j'en passe, ne donnent pas envie de s'associer à ce type de marche. Certes ils feront cent mètres mais resteront pour la plupart des populistes, des manipulateurs et pour certains des personnes corrompues, à l'origine d'arrestations arbitraires, d'exécution, de tortures.
Elle est une manifestation populaire mais on voit bien l'intérêt que les pouvoirs on de se l'approprier alors que concomitamment ils ruinent méthodiquement les Etats qu'ils dirigent.

Le plus amusant fut la posture de Marine Le Pen Information ouverte dans une nouvelle page, presque désolée de ne pas pouvoir mettre le pieds dans les pas de ceux-là même qui la flanquaient d'une merde associée à tous ses électeurs que l'hébdo leur avait coulée, peut-être-même s'était-elle rasée pour l'occasion comme cette autre Une.

C'est dans les gènes de la critique que de refuser par principe de se laisser enfermer sans ruer dans la folle farandole du consensus autour de ce qui est décrété juste.
Marine Le Pen se voit devenir le personnage non gratta d'une manifestation qui se rassemble pour dénoncer ce contre-quoi c'est battu son père, le fanatisme arabe comme fond de commerce nauséabond que son parti ne manquera pas de réexhumer régulièrement pour servir ses intérêts. Alors bien sûr ici il s'agissait de Concorde nationale et mon coeur n'a pas besoin d'y être pour coloniser cet esprit de fraternité, d'éviter les amalgames, mais le relatif équilibre qui subsistait entre concorde et discorde promulguait un discours qui défaisait du même coup le sens des caricatures de ces hommes de gauche pour la plupart.

Les mécanismes sociaux qui se mettent dès lors en branle sont d'une gigantesque force de persuasion et à l'attraction de-laquelle il est difficile d'échapper.
Le libre arbitre est la dynamo de toute pensée et là, cette marge, cette restriction mentale dont parle Jung Information ouverte dans une nouvelle page n'est plus active. Le chagrin, le désir d'être avec un "même", quelqu'un ayant les mêmes valeurs occulte tout désir de recul qui isole de la chaleur des autres.
Je ne peux m'en dissocier que parce que je reste un formidable solitaire qui parvient même à s'extraire de son propre corps pour s’ausculter lui-même dans ses comportements de grand singes.


Je ne suis pas Charlie et je n'irai pas à cette manifestation qui s'annonce comme la plus grande depuis la Libération, mais qu'elle libère ou quelle enferme, le risque pour le discernement est bien là. Dans ce genre de manifestation, on fait des choses qui transcendent le corps, on crie des slogans, on lève des bougies, des crayons, des pancartes, on applaudi régulièrement orateurs ou défunts, on disparaît de soi par intermittence, on s’abolit par procuration. L'applaudissement est la négation-même de la pensée, un dérèglement hystérique des ego balancés entre politesse et fusion. Ne pas applaudir devient alors un acte de rébellion politique et intellectuel que je conseille.

Je sais que c'est difficile à entendre, mais ces trois garçons qui ont attenté à la vie d'autres, sont les premières victimes de notre indifférence, de notre système scolaire, de notre défaut d'empathie, de l'état de nos prisons. Leur geste est l'exacerbation ultime de la douleur dans laquelle nous les avons mis. Alors, bien sûr que l'homme peut rapidement être retourné, faire des choses que son libre-arbitre ne lui aurait pas permis de faire, mais la masse des manipulations quotidiennes auxquelles nous faisons fasses avec plus ou moins d'outils pour les décrypter fait de nous les instruments de la violence des autres et les promoteurs d'une agressivité générale qui nous semble nécessaire pour répondre.

"Je suis Charlie Information ouverte dans une nouvelle page" devient presque l'intitulé d'une expérience sociologique visant à minuter le temps qu'il faut pour retourner l'esprit de quelqu'un, c'est une manipulation mentale du même ordre probablement que celle qui a miné le cerveau de ces garçons. Alors il peut paraître choquant de comparer des meurtriers avec des pacifistes juste émus, mais si l'échelle change, le procédé reste le même. Le cortex conserve une plasticité qui permet de modifier parfois momentanément l'être qui l'occupe.
"Être Charlie" c'est "renoncer à être soi momentanément" et renoncer à être soi c'est risquer que d'autres s'emparent de vous tout aussi momentanément.


Je ne suis pas Charlie, je ne le serais jamais parce qu'être soi vaut mieux que d'être tous les autres que je ne suis pas, soient-ils victimes de ce que je récuse. Je ne suis pas Charlie, je suis juste Alain Cabello, et je vous assure que cela m'occupe assez.
Je n'irai donc pas non plus à cette grand-messe, je ne suis pas Charlie,  je suis juste triste, désolé et c'est suffisant pour rester un homme qui pleure et qui pense, qui pense plus qu'il ne pleure.

Je ne veux pas être Charlie parce que je ne veux pas être victime malgré moi, je veux penser, je veux confier mon temps, ce temps à la réflexion quand mes frères sont eux dans la rue.

Je ne veux pas être Charlie parce que je le suis déjà au travers des prisonniers que nous négligeons. La prison est notre terrorisme d'Etat et de citoyens. Le premier foyer de notre violence est carcéral et il ne faut pas vouloir l'éteindre parce qu'il nous menace mais parce que ce n'est pas juste de le maintenir en l'état.


A vous tous, victimes, journalistes, caricaturistes, policiers, arabes, noirs, pédés, juifs et à Charlie Hebdo Information ouverte dans une nouvelle page.
Ils ont voulu atteindre un symbole, ils l'on transformé en mythe, punir un pays, ils l'ont soudé comme rarement dans son histoire.

Je ne suis pas allé à cette magnifique manifestation mais je l'ai regardé à la télévision et je m'y associe profondément.



Alain Cabello
Paris le : dimanche 11 janvier 2015, 11:33