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Les lettres turques de Milady Montagute de 1764*
Ou
Un travail d'enquête pour le CFDRM
Par Alain Cabello, dimanche 9 mai 2010
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Lettres turques de Milady Wortlay Montagute de 1764 TDM Fiche technique

Connaissez-vous cette femme du 18ème siècle ? Connaissez-vous cette histoire qui, par la formation même de ces lignes ne peut que nous laisser certains qu'elle libère un lien nouveau avec le massage ? A genoux dans mes livres, je suis comme un paléontologue à la recherche de fossiles qui pourraient me révéler plus encore que ce que nous savons de la diversité secrète de l'art d'être soi-même par le toucher.
Ainsi vais-je vous parler de la fabuleuse histoire de 
Mary Wortley Montague Information ouverte dans une nouvelle page et de son lien supposé avec le massage (26 mai 1689 - 21 août 1762).

En fait non, mon absence de talent narratif a suffisamment conscience de ses carences pour vous épargner l'ennui de se laisser lire, en réalité, je vais juste me borner à vous parler de l'histoire des traces de massage qui sont sensées se trouver dans ces lettres et que je n'ai pas pu encore isoler malgré tout mes soins.

Fille aînée du Duc de Kingston, cette femme brillante, parlant latin et le grec ancien dès son plus jeune âge mit son aptitude à retenir les langues au service de celles qu'elles apprendra lors de ses voyages. C'est une moderne, une précoce et une originale qui, ayant du mal à se remettre de son premier accouchement, oeuvre naturelle mais souvent mortelle pour les femmes d'alors, n'en décida pas moins de suivre son mari, nommé Ambassadeur d'Angleterre, en Turquie.

Voilà qui est normal aujourd'hui, voilà qui ne l'était pas hier et de nature plus qu'inconvenante à cette époque. Jamais aucune femme de ce rang et dans cet état de santé n'avait souhaité ou pu entreprendre un voyage aussi long, voir périlleux. Malgré les fins les plus atroces les unes que les autres qui lui furent promises, elle traversa l'Europe jusqu'à Constantinople, aller-retour telle que nous la restitue la correspondance qu'elle entretient avec sa soeur et quelques amies triées sur le volet. Elle écrira d'ailleurs qu'elle n'a pas entrepris un pareil voyage pour passer son temps à écrire et sa première lettre donne le ton de sa personnalité, entre défiance toute juvénile, une pointe d'arrogance et souvent beaucoup d'humour :

Page 9 "Vous apprendrez avec plaisir, sans doute, ma chère soeur, que j'ai passé la mer sans accident, quoique nous ayons essuyé une tempête. Le Capitaine du Yacht nous fit partir dans un tems calme, croyant qu'il étoit facile de faire le trajet à la faveur de la marée ; mais deux jours étoient à peine écoulés qu'il s'éleva un vent si violent, qu'aucun matelot ne pouvoit se tenir debout ; & nous fumes cruellement agités toute la nuit du Dimanche au Lundi. Je n'ai jamais vu un homme aussi effrayé que le Capitaine. Pour moi, je n'ai eu ni crainte, ni maladie de mer." La lettre suivante renvoie d'un revers de phrase ses conseilleurs à leur cher point de croix "Je me hâte de vous apprendre, ma chere Dame, que je n'ai point encore essuyé les fatigues insupportables dont vous m'aviez menacé." et hop, on reste copine bien sûr ! Voilà un aperçu du tempérament de la Lady qui ne se démentira pas tout le long du livre entre ironie, humour et culot pour une femme de sa condition et de son époque. Son trait se fait très souvent acide pour asseoir la complaisance qu'elle développe en faveur de la Turquie dont elle apprend la langue et cela participera peut-être à lui ouvrir les portes que seules des femmes sont en situation de pousser et de racompter.
La première dans ce livre est la Lettre XXVII(26) A Milady ***. envoyée d'Andrinople, le 1 Avril 1717 de la page 161 à la 168. Vieux style. Aucune trace de massage mais une belle illustration de ce qu'étaient les bains en Turquie au 18ème siècle en terminant par : "Adieu, Milady : je viens de vous entretenir d'un spectacle tel que vous n'en avez jamais vu, & dont aucun Journal de Voyageurs ne peut vous parler : tout hommes qui seroit attrapé dans ces lieux, perdroit la vie sur le champ." page 168

Milady Montague est citée dans Rêve d'orient, Les Occidentales et les voyages en Orient XVIIIe, début du XXe siècle par Barbara Hodgson mais aussi dans Abcdaire du bain par Françoise de Bonneville Ed. Flammarion 2008 Fiche technique dans lequel il est spécifié qu'elle parle de massage, page 62.
Un documentaire sur Arte, "
Roxelane, du harem au trône" passé le samedi 18 avril 2009 à 21:40 y fait également mention. Ni une ni deux, je me mets en chasse de cette perle, et l'achète pour le Centre Français de Recherches et de Documentation sur les Massages de Paris qui ne le possédait pas encore dans ses collections toutes entières dédiées aux massages.

Un travail d'enquête pour le CFDRM.
On prête à Milady Mary Wortley Montague d'avoir parlé de massage, bien, parfait, mais où ? Dans ses lettres Turques et pourtant, en les lisant, rien n'y fait référence de près ou de loin.
L'ensemble de ses lettres traitant ou abordant la toilette devraient être restituées ici sachant que les bains sont une des voies royales pour le massage, même si, dès lors qu'il n'en traite pas, leurs spécificités deviennent quelque peu secondaires. Correspondant à cette première édition en français que je me suis employé à lire, je n'ai rien trouvé qui puisse s'apparenter à l'art du massage et je propose plusieurs raisons à cela.
L'ouvrage contient, comme il était fréquent de le faire à l'époque, plusieurs livres reliés en un seul et unique volume. Pour l'ouvrage qui nous occupe, le 1er et 2ème livret datent de 1764 (M. DCC. LXIV.) alors que le 3ème livret fut publié en 1768 (M. DCC. LXVIII.) ainsi, l'édition du livre que nous possédons désormais au CFDRM ne peut être antérieure à 1768. La question est de savoir s'il a existé des éditions partielles en français sachant que la première édition anglaise postmortem sur demande de l'intéressée date de 1763. Il se peut que les mots employés dans l'original ne soient que trop éloignés des termes habituels ou trop imagés, et que le vocable anglais ait été dénaturé par la traduction. Autre possibilité pour expliquer l'absence des massages qu'on lui prête est que d'autres lettres furent, publiées dans des éditions plus récentes selon la formule consacrée "Revue et augmentée", ou que quelques-unes sont connues des seul(e)s érudit(e)s et conservées dans quelques archives Royales d'Angleterre.
La dernière raison et sans doute la plus navrante, serait que par association on lui ait prêté par erreur d'avoir parlé de massage alors qu'il ne s'agissait que de bains et qu'en réalité, le bruit ce soit faussement répandu. De toute façon, il est fort peu probable qu'elle en ait employé le vocable _que nous nous faisons fort de traquer_ puisqu'il revient, en tout cas en français aux Zend Avestade de Anquetil Duperron de 1771 Fiche technique(non encore acquis par le CFDRM). Rappelons que si la première édition anglaise date de 1763 les lettres du départ sont datées de 1717 et que le mot massage ne devait pas non plus être connu des anglais. Cela reste bien sûr à vérifier mais si cela s'avérait juste contre toute attente, est-ce qu'un tel mot alors inconnu des français aurait pu ne pas être traduit ? C'est au CFDRM de mener ses travaux pour savoir le fin mot de l'histoire de cette Milady qui vit sans doute plus de choses qu'elle n'en a écrit et soyons certains que parmi celles-ci, figuraient celles de femmes turques, nues et alanguies, se faisant masser par leurs esclaves toutes dévouées à leur art.

Bon, d'accord, je vous ai un peu arnaqué à la fin en vous laissant sur votre faim alors que vous pensiez que j'étais parvenu à percer le secret des lettres turques de Milady Montagute. Mais, mon enquête se poursuit.