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bénévolement et libre de tout droits non commerciaux.
Lundi 16 juin 2008 par Alain
Cabello.
Je vous restitue ce texte que je prends dans
le livre Surveiller et punir de Foucault chez Tel
Gallimard .
Je ne sais pas encore trop comment vous le formuler et c'est l'objet
de ce texte, mais je sais, au fond de moi qu'il existe un sens
intime entre l'univers carcéral, la "question"
qui signifiée l'interrogation par la torture et l'art
de vivre du massage
qui entre étrangement en résonance avec nos métiers.
Elle en est l'opposition et lorsque j'ai commencé ce livre
de Foucault Surveiller et punir avec le cas de
Damiens mort déchiqueté en 1757, je me suis dis que
si un jour j'écrivais un livre sur le massage je le
commencerai par ce texte. Damiens était un désiquilibré
qui a tenté d'assassiner Louis XV avec un canif. Le descriptif
historique de cette exécution est tellement répugnant
que pour une des rares fois dans ma vie de lecteur j'ai sauté
des pages. Seulement voilà, vous n'écrivez pas sans
penser et au nom de la mémoire immonde de la France, des
gens écrasés par le Royaume, par la Révolution
française comme par la République, je l'ai relu, comme
on relit les noms, un à un, des victimes d'Oradour-sur-Glane
rendant ce texte ici parfaitement nécessaire, même
sur un site de réflexion sur le massage, surtout sur
un site de réflexion sur le massage.
Surveiller et punir de
Foucault chez Tel Gallimard
"Damiens
avait été condamné, le 2 mars 1757,
à "faire amande honorable devant la principale
porte de l'Église de Paris", où il
devait être "mené et conduit dans
un tombereau, nu, en chemise, tenant une torche de cire
ardente du poids de deux livres", puis, "dans
le dit tombereau, à la place de Grève,
et sur un échafaud qui y sera dressé,
tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras
des jambes, _ ça signifie qu'il lui sera
arraché des bouts de chair avec une pince_ sa
main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis
le dit parricide, brûlée de feu de souffre,
et sur les endroits où il sera tenaillé,
jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de
la poix résine brûlante, de la cire et
souffre fondus et ensuite son corps tiré et démembré
à quatre chevaux et ses membres et corps consumés
au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées
au vent". _ Etc... et il poursuivent plus loin_.
"...
"on a allumé le souffre, mais le feu était
si médiocre que la peau du dessus de la main
seulement n'en été que fort peu endommagée.
Ensuite un exécuteur, les manches retroussées
jusqu'au-dessus du coude, a pris des tenailles d'acier
faites exprès, d'environ un pied et demi de long,
l'a tenaillé d'abord au gras de la jambe droite,
puis à la cuisse, de là aux deux parties
du bras droit; ensuite aux mamelles. Cet exécuteur
quoique fort et robuste a eu beaucoup de peine à
arracher les pièces de chair qu'il prenait dans
ses tenailles deux ou trois fois du même coté
en tordant, et ce qu'il en emportait formait à
chaque partie une plaie de la grandeur d'un écu
de six livre."
"Après
ces tenaillements, Damiens qui crié beaucoup
sans cependant jurer, levait la tête et se regardait,
le même tenailleur à pris avec une cuillère
de fer dans la marmite de cette drogue toute bouillante
qu'il a jeté en profusion sur chaque plaie. Ensuite,
on a attaché avec des cordages menus les cordages
destinés à atteler les chevaux, puis les
chevaux attelés dessus à chaque membre
le long des cuisses, jambes et bras."
"Le
sieur Le Breton, greffier, s'est approché plusieurs
fois du patient, pour lui demander s'il avait quelque
chose à dire. A dit que non; il crié comme
on dépeint les damnés, rien n'est à
le dire, à chaque tourment : "Pardon mon
Dieu! Pardon Seigneur". Malgré toutes ces
souffrances ci-dessus, il levait de temps en temps la
tête et se regardait hardiment. Les cordages
si forts serrés par les hommes qui tiraient les
bouts lui faisaient souffrir des maux inexprimables."
"Le sieur Le Breton, greffier, s'est encore approché
de lui et lui a demandé s'il ne voulait rien
dire; a dit non. Les confesseurs se sont approchés
à plusieurs reprise et lui ont parlé longtemps;
il baisait de bon gré le crucifix qu'ils lui
présentaient, il allongeait ses lèvres
et disait toujours : "Pardon Seigneur."
"Les chevaux ont donné un coup de collier,
tirant chacun un membre en droiture, chaque cheval tenu
par un exécuteur. Un quart d'heure après,
même cérémonie, et enfin après
plusieurs reprises on a été obligé
de faire tirer les chevaux, savoir : ceux du bras droit
à la tête, ceux des cuisses en retournant
du côté des bras, ce qui lui a rompu
les bras aux jointures. Ces tiraillements ont été
répétés à plusieurs reprise
sans réussite. Il levait la tête et se
regardait. On a été obligé de remettre
deux chevaux, devant ceux attelés aux cuisses,
ce qui faisait six chevaux. Point de réussite.
_pour
terminer cet immonde supplice rendu par la France de
1757..._ Après deux ou trois tentatives,
l'exécuteur Samson et celui qui l'avait tenaillé
ont tiré chacun leur couteau de leur poche et
ont coupé les cuisses au défaut du tronc,
les quatre chevaux étant à plein collier
ont emporté les deux cuisses avec eux, savoir
: celle du côté droit la première,
l'autre ensuite; ensuite en a été fait
autant aux bras et à l'endroit des épaules
et aisselles et aux quatre parties; il a fallu couper
les chairs jusque presque aux os, les chevaux tirant
à plein collier ont emporté le bras droit
le premier et l'autre après." "C'est
quatre parties retirées, les confesseurs sont
descendus pour lui parler; mais son exécuteur leur
a dit qu'il était mort, quoique la vérité
était que je voyais l'homme s'agiter, et la mâchoire
inférieure aller et venir comme s'il parlait.
L'un des exécuteurs a même dit que lorsqu'il
avait relevé le tronc du corps pour le jeter
sur le bûcher, il était encore vivant.
Les quatre membres détachés des cordages
des chevaux ont été jetés sur le
bûcher préparé dans l'enceinte
en ligne droite de l'échafaud, puis le tronc
et le tout ont été ensuite couverts de
bûches et de fagots, et le feu mis dans la paille
mêlée à ce bois."
"...En
exécution de l'arrêt, le tout a été
réduit en cendres. Le dernier morceau trouvé
dans les braises n'a été fini d'être
consumé qu'à dix heure et demie et plus
du soir. Les pièces de chair et le tronc ont
été environ quatre heure à brûler.
Les officiers au nombre desquels j'étais, ainsi
que mon fils, avec des archers par forme de détachement
sommes restés sur la place près de onze
heures." "On veut tirer des conséquences
sur ce qu'un chien s'était couché le lendemain
sur le pré où avait été
le foyer, en avait été chassé à
plusieurs reprises, y revenant toujours. Mais il n'ait
pas difficile de comprendre que cet animal trouvait
cette place plus chaude qu'ailleurs." |
Le massage,
l'art de vivre est, aussi surprenant soit-il, dans ce
texte. Certes il s'agit d'un massage
chthonien, une sort de contraire, de massage à l'inverse,
de négatif mais il est là et, à l'instar du
bien que l'on ne peut connaître sans être en mesure
de définir le mal, on ne peut vraiment penser le massage
sans intégrer ce rapport au corps par sa violente destruction.
Art de vivre ou art de faire mourir pour montrer au peuple la puissance
du roi et celle de la justice d'un royaume dévoreur des siens.
La torture se pose alors comme un massage à part entière
qui cherche par l'utilisation de nos sens l'effet inverse
de la relaxation par l'apaisement de nos tentions. Ce retour aux
origines se transforme en un retour à la force pour laquelle
la douleur est l'objectif. Le massage
est défini comme la manipulation des tissus vivants à
des fins thérapeutiques ou de détentes, auxquelles
ont pourrait ajouter et à toutes autres formes de violences
ciblant le corps. Le point commun et paradoxal de
ces finalités est celui de la vie. Pour les percevoir le
corps doit être vivant ou maintenu vivant.
Que l'horreur passe aussi par le massage
permet de le re-qualifier dans ses intentions mièvres qu'on
lui prête souvent en occident. L'Asie plus ancienne que nous
dans sa réflexion sur le massage a bien établie
les relations qu'il y avaient entre massage et soins via
des techniques qui se posent carrément comme thérapeutiques.
C'est à nous désormais de tenter de décrire
tout ce que le massage nous révèle de nous-même
par le curseur social. Comment une pratique pourrait à ce
point nous parler de nous-même pour que régulièrement
on lui confie notre corps sans qu'il n'y trouve rien du corps social
? Tenter de justifier l'absence de la société
qui nous contient en qualifiant le massage de relaxation
de pratique de second ordre dans la hiérarchie des importances,
c'est profondément méconnaître ce que l'homme
met vraiment de lui dans ces moments. Le massage et son travail
et écoute des sens du corps ne peut plus longtemps accepter
d'être cantonné au sensible corporel à l'exclusion
du sensible social et politique. Le prochain travail de fond
pour le massage sera celui de l'inventaire et savoir reconnaître
dans les pires tragédies de nos sociétés d'hommes
une part à l'élection tactile. Ce double visage du
massage donne corps à la part inconsciente que découvre
le toucher. Toucher n'est pas seulement maternel, bienveillant mais
peut devenir pervers et cruel par déficite d'humanité.
J'entend par déficite d'humanité l'extinction momentané
Exécuteur/masseur, les deux sont
des exécutants, l'un pour punir, l'autre pour récompenser,
tenaillage, échafaud, écartèlement pour le
premier; palper/rouler, étirements pour de second et dans
les deux cas, de l'huile, brûlante pour l'un, chaude pour
l'autre. Cette évocation du sort des damnés, hurlants
les pires outrages que littérature et tableaux surent nous
abreuver pour mieux nous tenir sous la coupe du pouvoir civil et
religieux, a ceci d'intéressante qu'elle nous rappelle que
nos sens peuvent être à double tranchants. Ils peuvent
bien-sur percevoir le doux, le sensuel mais force est de constater
que la violence s'est toujours affûtée dans l'art de
la guerre, autre massage
d'ailleurs que celle-là, mais aussi dans l'exercice du pouvoir,
de la force pénale comme dans la contrainte faite sur
autrui pour obtenir ce que l'on veut. Les sens dans ce qu'ils ont
de sensibles deviennent une arme qui se retourne contre celui qui
les possède. Torture, privation de nourriture, de liberté
sont des agressions directement perçus et comprises par le
corps comme sanctionnelle. La douleur,
l'écorchure, la section, l'arrachage sont l'alphabet du tortionnaire.
On se rend alors compte que le massage est aussi codifié
que peut l'être la question et que l'homme
est aussi apte à travailler pour construire que pour détruire.
Les méthodes d'interrogations, les tortures que bien des
hommes, sans êtres des monstres, sont capables d'infliger
à un autre homme est le négatif d'un massage
dans lequel tout est fait pour être léger. Au lieu
d'amplifier la pression, de persécuter l'autre comme preuve
flagrante de la fragilité du pouvoir, les chairs sont en
massage pétries à des fins de détentes.
Ces deux massages s'opposent donc et se rejoignent dans la
recherche exprimée du contact, l'un violent et l'autre apaisant.
La torture comme le massage passe par la compréhension
que l'on a du corps de l'autre et de sa capacité à
percevoir le sensible en faisant volontairement mal comme en dispensant
le bien-être, l'Être bien. Il est fondamental de
proposer à la réflexion ce texte décrivant
le sort de Damiens et de lancer une étude qui permettrait
de superposer la transparence de ces deux calques et de décrire
ces différences de crayons.
Dans notre société pénale
à l'instar des abattoirs, l'homme n'a eu de cesse de rendre,
légitime, catégorique et humaine l'insondable terreur
de la privation. La mise au ban, l'enfermement, la confiscation,
la peine capitale sont des verdicts comportant en germe l'échec
de la pédagogie et le désaveux d'une politique sociale.
La différence avec le massage c'est que la notion
d'enfermement est temporaire et choisie avec pour axe principal
celui de l'équilibre avec soi. Nous pourrions y voir là
peut-être l'amorce d'une solution à la violence de
l'État que sous-tend celle des individus. L'art du toucher
est une communication en soi et l'incarcération, la punition
ou l'exécution procèdent par l'isolement dans lequel
l'échange tactile reconnu comme une communication est évité
parce que l'attachement est source de remise en question de l'autorité.
Les menottes par exemple illustrent bien cette captivité
des mains, poignets ceints par l'anneau prévôtal relié
à une chaîne d'entrave. Il s'agit alors de priver,
on enferme les mains comme on enferme le corps et le massage
est aussi une prison dans laquelle on est enfermé pour un
temps donné sans connaître son partenaire de cellule
mais à la différence notoire avec celle de la punitive,
c'est que celle-ci est entend un enfermement volontaire et se pose
comme un parloir intime ce que l'autre réfute. La logique
est toujours la même, ne pas favoriser les conforts et rendre
pesant le quotidien de l'enfermement plutôt que de lui ouvrir
trop d'aménagement qui finirait par le rendre inefficace.
On voit bien qu'on navigue constamment du massage à
l'anti-massage c'est à dire de la nécessité
de faire évoluer les prisons pour entrer en conformité
avec les réformes judiciaires soucieuses d'être plus
juste et la sanction là pour faire sentir au prisonnier le
poids de sa faute. La main fut souvent utilisée pour symboliser
l'action, la main qui punie, le doigt de la main qui montre, dénonce,
la main qui arme ou celle qui frappe, empoisonne, celle qui
rend la liberté toujours moins forte que celle qui la confisque.
Le corps est une liberté mais il est aussi
une prison de laquelle on ne peut s'échapper sans cesser
de vivre lorsque que d'autres exercent sur celui-ci des pressions
qui l'atteignent. Ce corps devenu geôle meurt avec l'accord
du groupe qui laisse à l'État le soin d'être
juste en son nom. Ce qui lui est interdit par le droit et le tabou
Ce désintérêt pour l'univers carcéral,
pour la violence environnante de laquelle on tente en permanence
de s'extraire m'explique ce qui m'a toujours plongé dans
des abîmes de perplexité. Pourquoi la supériorité
numérique ne suffit pas à tenir tête au tortionnaire
? Pourquoi les prisonnier des camps nazis ne ce sont-ils pas révoltés
contre l'insondable ? Pourquoi aller à la mort sans broncher
? Pourquoi un peuple comme celui de France ne s'émeut-il
pas de l'état même de rétention ? C'est à
cause des effets du massage.
lorsque celui-ci génère des tensions, des stress,
des peurs, menace nos équilibres de vie alors le corps se
réfugie là où on ne peut l'atteindre "dans
son silence". Le corps qui se rassure dans un massage
statique est un corps qui n'éveille pas l'attention par sa
mobilité. Car c'est bien par l'absence de silence, par l'activation
de nos réflexes de corps vivant que alerte est donnée
a la minorité régnante, au prédateur comme
au pouvoir. Bouger vous fait repérer. Il est un fait bien
sur que nos démocraties ont atteint un minimum de civilisation,
de respect de l'individu mais il se cantonne à la masse,
à son uniformisation par l'enseignement, le conditionnement
mais force est de constater que le déviant, le hors-rail
est une anomalie systémique dont la propagation est une certitude
de déséquilibre. Le massage devrait être
enseigné à l'école, il contient de la pédagogique,
de l'accès à l'autre et c'est ce qui nous manque peut-être.
Ce manque d'accès à celui que des murs isolent, qu'une
justice condamne, qu'un peuple répudie alors que c'est en
touchant, en communicant que l'autre devient l'équivalent
de soi. Je ne pense pas que nos démocraties fassent fausse
route, nous ne sommes qu'une jeune espèce qui chaque jour
affûte son organisation politique mais il est temps de repenser
les prérogatives de l'autorité.
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