ROME

ou l'art du massage

 

 

 

 

 

 

 

 

Rome, les bains, cette institution où se retrouvait toute une population avide de distractions est l'image un peu envahissante qui s'attache à ces périodes somme toute mal connues.

L'histoire des romains dans la culture occidentale déclenche autant de passion que l'Égypte par ce qu'elle contient de fabuleux dans ce que l'on perçoit aujourd'hui de l'antique. Rome, le stupre et la luxure, des assassinats, des royaumes conquis se mêlant de femmes, de nains, d'enfants, d'esclaves, de zoophilie présente jusque que dans les mythes et d'homosexualité d'autant plus grandiose que Rome se nourrit de l'histoire de ses proies. C'est la seule ville au monde dont le nom seul éclipse celui du pays qui la contient comme un gigantesque maelstrom qui se juxtapose à celui de la Grèce mais aussi de l'Égypte, deux empires en un, l'un fait d'orient l'autre d'occident qui semblent créés juste pour mourir deux fois et se dissoudre tout à fait sous les coups de boutoir du roi Odoacre en 476.

C'est de ce cadavre exquis dont il ne reste plus rien que tout est sorti, une prima materia qui irradie encore aujourd'hui sans commune mesure le monde et son histoire.

 

Le Massage chez les Romains

Les thermes comme le sport sont une influence essentiellement grecque qui appellent au massage mais que les romains laissent, du moins au début, aux femmes et aux efféminés...

Juvénal

Peut-être méprises-tu à juste raison les Rhodiens mal aguerris et Corinthe la parfumée : que t’importent une jeunesse épilée à la résine et les jambes bien lisses de tout un peuple ?

Forsitan inbellis Rhodios unctamque Corinthon despicias merito : quid resinata iuventus cruraque totius facient tibi levia gentis?

 

Ou encore Horace dans ses Épîtres, I, 4 parlant indirectement du massage :

Tu me trouveras gras et luisant, la peau bien soignée, tu auras envie de te moquer moi, vrai pourceau issu du troupeau d’Épicure.

Me pinguem et nitidum bene curata cute vises, cum ridere voles, Epicuri de grege porcum.

 

"gras et luisant, la peau bien soignée" par les huiles des massages, bien sûr et Suétone, lui, nous rapportera cette formule devenue célèbre de l'Empereur Vespasien (Suétone, Vespasien 8)

Un tout jeune homme qui empestait le parfum était venu le remercier de lui avoir attribué une fonction de préfet. Vespasien fit un signe de désapprobation et d’une très grosse voix le réprimanda en ces termes : « J’aurais préféré que tu sentes l’ail ! » et il annula sa nomination.

Adulescentulum fragrantem unguento, cum sibi pro impetrata praefectura gratias ageret, nutu aspernatus voce etiam gravissima increpuit : "Maluissem allium oboluisses" litterasque revocavit.

 

Alors Vespasien n'était pas un Empereur issu du sérail mais un homme d'origine plus plébéienne mais pauvres ou riches, personne n'échappait à ce que Horace nous livre avec le peu d'élégance qui caractérise les romains de cette époque dans ses Épîtres, I, 5 :

Mais l’odeur de chèvre issue des aisselles rend pénibles les festins où l’on est trop serrés.

Sed nimis arta premunt olidae convivia caprae.

 

En fait, c'est vers le troisième siècle avant J-C que les bains publics s'installent progressivement dans la vie des romains. Ils sont à la fois pratiques, accessible par le plus grand nombre, règlent de nombreux problèmes d'hygiène qui se posaient à beaucoup et les thermes deviennent vite un lieu de rencontre.

Conformément à leurs habitudes, les romains se fondent dans les traditions et les découvertes qu'ils font lors de leurs campagnes, les déclinent à la mode romaine du moment et surtout les améliorent de façon stupéfiante. Le thermes deviennent vite de véritable centres de loisirs qui tournent autour des soins et de la détente, où l'on parle affaires et politique, entre une épilation et un massage réparateur…

Les romains comme les grecs feront tout pour se démarquer de leur anciens comme pour affirmer leur classe sociale. Se blanchir la peau, se coiffer, s'épiler permettait cette distinction. L'épilation jouera un rôle non négligeable dans le massage à la fois comme soin d'accompagnement, façon de soulager la peau et de passer de la douleur ou du stress à la détente par le massage.

La vielle garde aimait sentir le bouc et la sueur ? Les nouvelles générations de romains et de romaines privilégieront eux, l'esthétique et le parfum.

Que la chevelure, que la barbe soient coupées par une main habile, que les ongles soient taillés ras et sans trace de crasse, qu’aucun poil ne dépasse du creux de la narine.

Pas de souffle désagréable sortant d’une bouche malodorante, qu’une odeur de mâle et de père de troupeau ne blesse pas les narines.

Sit coma, sit trita barba resecta manu.

Et nihil emineant, et sint sine sordibus ungues: Inque cava nullus stet tibi nare pilus
Nec male odorati sit tristis anhelitus oris: Nec laedat naris virque paterque gregis.

 

Lorsqu'Ovide écrira cela dans Ars amatoria, I, 518 c'était pour rappeler aux hommes qu'ils n'étaient plus "père de troupeau" et que garder les chèvres n'obligeait pas de même façon que de vivre à Rome, en un mot, qu'il n'était pas nécessaire d'être la bête la plus poilue et la plus malodorante de leur cheptel.

Auguste s'épilait et adorait le massage et cela fit suffisamment jaser pour que Suétone le mentionne.

 

Il encourrut dans sa toute jeunesse l’infamie de différents vices. Sextus Pompée l'accusa d’être efféminé... [Marc Antoine] d’avoir l’habitude de se brûler superficiellement les jambes avec une coquille de noix incandescente pour que les poils repoussent plus doux.

Prima iuventa variorum dedecorum infamiam subiit. Sextus Pompeius ut effeminatum insectatus est... solitusque sit crura suburere nuce ardenti, quo mollior pilus surgeret.

 

Les régnants ont toujours été de façon plus ou moins active des faiseurs ou des désfaiseurs de modes. Si l'Empereur Auguste se rasait les jambes il était difficile de s’afficher avec des jambes trop poilues. Ont disait même que ce laissez-aller trahissait un état dépressif (IX, 12-15)...

C’est tout le contraire maintenant : visage grave, forêt hérissée de cheveux secs, aucun éclat sur toute ta peau, celui que te donnaient les bandes à épiler du Bruttium à la colle de gui chaude, mais des jambes négligées et rugueuses au poil luxuriant.

Omnia nunc contra, vultus gravis, horrida siccae silva comae, nullus tota nitor in cute, qualem Bruttia praestabat calidi tibi fascia visci, sed fruticante pilo neglecta et squalida crura.

Lorsque Cesar lui succèdera et réformera le calendrier il y rajoutera deux mois, Juillet pour Julius [Jules Cesar] et août pour Augustus, pour glorifier comme de tradition son prédécesseur et autant dire qu'un Empereur rasé pour incarner le mois d'août était assez judicieux...

Très vite le massage s'installe et les pratiques se distinguent. Il est peut-être utile de signaler que les masseurs et masseuses de l'époque étaient le plus souvent, des enfants, des eunuques, des esclaves propriété de leur maitre la plupart du temps assujettis aux nécessités sexuels. Les Thermes, construit sur les deniers de quelques riches sénateurs ou familles désireuses de laisser leur marque mettaient à disposition des esclaves dont on pouvait louer les services. Pour les plus pauvres, une simple friction d'huiles parfumées suffisait à jouer les offices de déodorant de base. La peau était ensuite frotté avec un linge de qualité variable selon le rang du massé. Lors des échanges qui nous sont parvenus entre Sénèque et Lucilius nous avons ce passage :

Voilà que je suis tombé sur un paresseux, le genre qui se contente de la friction à bon marché, j'entends le claquement de la main sur les épaules, et selon qu'elle frappe à plat ou en creux, elle rend un son différent.

Cum in aliquem inertem et hac plebeia unctione contentum incidi, audio crepitum illisae manus umeris ; quae prout plana pervenit aut concava, ita sonum mutat. (Sénèque, Lucilius 56).

Ainsi, tous les masseurs et donc les massages ne se valaient pas. Les plus pauvres d'entre-eux ne disposaient pas de lieux et proposaient leurs services sous les portiques même des thermes à ceux qui voulaient bien les entendre. D'autres, au contraire, plus reconnus se nommés iatraliptaes, disposaient parfois de leur propre salle qu'ils louaient à l'intendant des thermes ou au sein même d'insulae, c'est-à-dire d'immeuble dont le rez-de-chaussée abritait  parfois des boutiques. Leur réputation pouvait leur permettre de devenir aisé ou d'être remarqué par une grande famille.

Déjà Trimalchion enduit de parfum se faisait essuyer, non avec de la toile, mais avec des serviettes de laine très souple. Cependant, trois masseurs médicaux, sous ses yeux, buvaient du Falerne et, comme, en se disputant, ils en répandaient une grande quantité, Trimalchion disait qu'ils buvaient à sa santé et à ses frais.

Iam Trimalchio unguento perfusus tergebatur, non linteis, sed palliis ex lana mollissima factis. Tres interim iatraliptae in conspectu eius Falernum potabant, et cum plurimum rixantes effunderent, Trimalchio hoc suum propinasse dicebat.

 

Les massages se pratiquaient le jour comme la nuit dans des thermes privés ou publics, selon les époques et les exigences du requérant. Le corps entier était massé, sexe inclus.

C’est la nuit qu’elle fait sonner les conques et lever le camp, elle se réjouit de suer à grand fracas, quand ses bras épuisés retombent alourdis par les poids, un masseur qui connaît son affaire laisse l’empreinte de ses doigts même sur son intimité. Et pendant ce temps ses malheureux invités crèvent de sommeil et de faim.

..., conchas et castra moveri nocte iubet, magno gaudet sudare tumultu, cum lassata gravi ceciderunt bracchia massa, callidus et cristae digitos inpressit aliptes ac summum dominae femur exclamare coegit.

Convivae miseri interea somnoque fameque urguentur.

 

Nous avons aussi un petit texte anonyme qui relate ces premières heures réservées aux gens riches ou aisés ne disposant pas de thermes privés et comment ces heures s'ouvrent ensuite au tout venant.

Rome continue ses diverses tâches,

la sixième apportera le repos aux gens fatigués, la septième en sera la fin, la huitième jusqu’à la neuvième suffit aux exercices huilés des palestres...

Roma labores, sexta quies lassis, septima finis erit, sufficit in nonam nitidis octava palaestris "anonyme, Anth. Palat., IX, 640"

 

Les exercices huilés passaient nécessairement par le massage, mais si l'on massait dans les thermes, on massait aussi dans les centres sportifs et l'on massait encore dans les lupanars de Rome et de ses provinces.

Si les romains pratiquaient la gymnastique en tunique, ils luttaient généralement nus, comme les grecs, et l'huile de laquelle ils se recouvrait permettait de limiter les prises de l'adversaire. Ces onctions précédaient et/ou se terminaient la plupart du temps par un massage à base d'huiles, de poussière ou d'autres mixtures préparées par les masseurs eux-mêmes :

...tu ne tends pas tes bras arqués enduits d'une pommade visqueuse...

vara nec in lento ceromate bracchia tendis...(VII, 32 Sénèque à Lucilius)

 

Quel que soit le sport les romains ne s'en firent jamais une aussi haute idée que les grecs, et préféraient sans doute davantage celui de la guerre. "Heureux Mucius, qui livra sans peur sa main aux charbons, plus heureux que s’il l’eût offerte à un massage voluptueux !" Lettres 66 à Lucilius" Mais lorsqu'ils le pratiquaient celui-ci était le plus souvent associé à des manipulations destinées à préparer les muscles du corps par des élongations que les romains connaissaient et à huiler la peau. Combats, tournois, jeux étaient toujours pratiqués dans un immense tumulte avec une myriade de supporters, de proches, d'entraîneurs, de parieurs et bien sûr de masseurs et de masseuses en tout genres dévolues à la préparation sportive ou à la prostitution. Alors, sportif, curative, relaxant ou simple façon de se laisser parfumer, le massage était partout et c'est cela que nous tenterons de relater ici.

 

 

Centre de recherche sur les massages