Lorsque
la tradition devient perverse
Par
Alain
Cabello-Mosnier. P/O le CFDRM
Libre de droits non commerciaux.
Rédigé
à Paris le : samedi 24 mai 2014
Lorsque
la tradition devient perverse
Arrêtons la tradition lorsqu'elle
devient un mode alimentaire nécrophage, le massage
dispose de ses propres ressources. Jean-Marie
Tjibaou dit "La recherche de l'identité
est devant, jamais derrière." Le modèle
est devant, donc par conséquence à venir,
dans l'action des sujets. Le massage doit se tenir face
à ce qui advient et renoncer à cette auto-momification
traditionaliste et chronique dans laquelle d'aucuns
s'enkystent pompeusement. Masser ne fait pas de vous
un égyptologue
renommé. Même les ductus contemporains
qu'effectuent les masseurs en agrégeant avec
plus ou moins de bonheur plusieurs techniques (il serait
plus juste de dire "bribes de techniques")
supposées appartenir à telle ou telle
méthode se revendiquent d'hier et renoncent à
écrire pour demain. Masser est une sorcellerie
sans écriture, c'est par le texte et la rencontre
que nous saurons avancer. Chaque masseur que nous
sommes est un guérisseur en son village qui oeuvre
comme il peut passant des milliers d'heures à
masser en Harpagon de ses savoirs qu'il jalouse aux
autres et enterre par son renoncement. Ses anciens exercices
gisent comme un caveau noir et poussiéreux que
plus personne n'ose interroger. Masser sans enseigner
c'est recouvrir les heures de son travail à coup
de remblais de ses propres mains. La peau que vous malaxez
c'est le sable de votre propre sépulture. Celui
qui masse enterre, celui qui enseigne l'art du massage
piétine en ramenant tout à lui mais celui
qui massage et enseigne sème, partage, disperse.
Vous voulez savoir si vous
êtes bon masseur ? Alors commencez par vous dire
que vous êtes mauvais et interrogez ces arts anciens.
_ Faites-vous masser, faites-vous masser en vous abandonnant
complètement sans résister, faites-vous
masser de nouveau par cette même personne et retenez
le plus que vous pourrez, écoutez l'orgue de
ses doigts, écrivez la partition telle que vous
l'entendez dans votre tête. _ Massez quelqu'un
de critique, interrogez son insatisfaction ronchonne,
ses manques vicieux, et oubliez à l'instant le
dithyrambe de ses flatteries comme le sable des arènes.
Si vous recherchez le compliment, faites comédien,
vous serez applaudi. _ Faites-vous masser par des
"enseigneurs" (néologisme de Marcel
Jousse) pas par des maîtres, ils sont des imposteurs
qui dominent l'incompétent car si vous savez
vous situer vis-à-vis d'eux, vous saurez garder
votre esprit critique. La maitrise ne fait pas de vous
un maître mais un professeur, elle fait de vous
un relayeur, un passeur. _ Observez des séances
de massages non par vidéo mais in situ, soyez
le tiers toléré dans une séance,
faites-vous oublier et regardez comment le corps du
masseur bouge, vole au-dessus de la personne, s'y exprime.
Ne faites rien d'autre un jour que de le regarder comme
lors d'un cours des Beaux-Arts, puis un autre jour prenez
des notes comme un étudiant de la Sorbonne, puis
un autre encore disputez à la façon d'un
péripatéticien ou d'un examinateur, intervenez
dans le massage, posez des questions. Relisez ultérieurement
vos notes, revenez sur telle passe, soyez grossier et
insistant à l'égard du masseur-enseigneur,
interrogez-le comme au comme au 36 Quai des Orfèvres
jusqu'à ce que vous ayez compris le pourquoi
du comment de tel geste préféré
à tel autre.
Il devra donner sens à
vos questions, expliquer pourquoi, parce que ce qu'il
fait a ce moment-là ce n'est pas de l'habillage
horaire d'un incompétent qui s'emmerde, c'est
une écriture disposant de sa propre sémantique
et ce qu'il dit avec ses mains, il doit pouvoir le répéter,
l'expliquer avec sa langue.
Alain
Cabello samedi 24 mai 2014 |