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Nous
savons qu'autour de la mort s'est joué des phénomènes
aussi variés qu'il y a de traumatismes autour de cette stupeur
qui saisie celui qui sait la chose possible mais ne s'y prépare
jamais vraiment. Néanmoins, si l'on ne s'y prépare
pas, force est de constater que l'on prépare celle des autres.
Le gisant fut l'objet de toutes les attentions, il fut peint, sculpté,
photographié, toiletté, parfumé, paré
de bijoux et parfois même enterré avec tous son mobilier,
voir, avec ces animaux domestiques, quand ce n'était pas
avec les épouses et esclaves exécutés pour
l'occasion. De nombreux cas nous instruisent d'actes de violences
sur des dépouilles mortelles, décapitation, rapports
sexuels, d'homophagie, de lien directe avec l'au-delà, enterré,
déterré, fêté comme le pratique encore
aujourd'hui, de très nombreuses familles de Madagascar, en
exhumant toute la lignée défunte pour se passer de
mains en mains des linceuls chargés d'ossements, à
l'occasion de la fête des mort. Nous pensons bien sûr
à l'oeuvre de sauvages, de gens sans culture, à des
obscurantistes, des satanistes mais est-on si loin que cela de nos
sociétés policées ? Des momies furent broyées
en europe pour répondre aux nécessités de la
posologie de telle ou telle préparation que nous livrent
d'anciens antidotaires. Des crânes furent scalpés,
érigés sur des piques ou à l'entrée
de tentes de guerriers mais combien de tableaux, de sculptures nous
montrent, qui un sage, qui un régnant, la main posée
sur un crâne symbole de sagesse, de pouvoir. La main nonchalante,
au sommet ce qui fut la tête, le siège des pensées
d'un autre dont les doigts parcourt le galbe anatomique dont la
forme sphérique sied au confort de la main humaine. L'os
défunt caressé par la pulpe des doigts d'un vivant
même si à son tour, le personne ainsi représentée
est devenue, un inanimé. Nous avons là un massage
va s'en dire mais un massage que personne ne dit, que personne ne
montre et surtout, massage au sujet duquel personne n'écrit.
Pourtant tout jeux de doigts volontaires ayant pour but d'exercer
la tactilité de ceux-ci et le plaisir de sentir l'objet est
massage. Comment peut-il s'extraire de la symbolique de cette scène
? On y voit du pouvoir, de la domination, de la science, des pactes
improbables avec quelques forces souterraines, de la vengeance,
de l'amour mais rarement la symbolique du toucher, le contenu des
échanges qui passent par le tactile n'apparaît pas.
Le seul fait de montrer sa dominance à l'oeil suffirait à
satisfaire au message ? Nous voyons bien que non, les mains, les
doigts réclament continuellement l'abolition des distances
utiles à la vue, si magique, pour répondre à
l'insatiable myopie tégumentaire et qui expose au combien
davantage le corps par le toucher. Regardez ce qu'il vous arrivera
si vous vous opposez à mon hégémonie ; regardez
l'immensité de ma culture moi qui domine la mort par mes
actes de sachant. Un crâne vide et mort n'est jamais qu'un
crâne qui fut mais jamais sans avoir laissé derrière
lui toute la substance de ses connaissances par le partage, par
le dialogue et c'est cela que j'ai sous les doigts, l'héritage
des siècles passés. La sensation de cet ossement est
la permanence de la vie. Je perçois le vide sidéral
de ces orbites aussi parce que je le touche. Le mort n'est jamais
mort si le touché n'est pas permis. C'est toucher qui permet
de faire le deuil, voir reste une mise en distance. Ce que je voit
n'est jamais que la ratification par l'oeil de ce que j'ai appris
par l'esprit. Voir un mort au cinéma, dans un livre ou peint
sur un tableau ne fait guère de différence avec la
vision aussi réelle soit-elle de la mort. C'est l'ancrage
par le toucher qui confronte au réel, c'est par la main qui
se heurte au corps du défunt que la perception devient totale.
Mais avant que
ce crâne n'arrive sous ces doigts de dominant il fallu bien
procéder au parcours inverse passant par un retour au tombeau,
par l'exhumation, l'extirpation du cercueil, du linceul, par le
renoncement de la mort elle-même à ses acquits afin
de retrouver l'être vivant et pensant qui lui ré-appartiendra
n'en doutons pas. Le trépassé qui s'éveille,
l'agonisant qui se rétablit, le vieillard qui se redresse,
le bel âge, le jeune adulte, l'adolescent, l'enfant, le bébé,
le fétus, la pénétration d'une vulve de femme
par un sexe masculin dont le procédés nous semblent
là davantage relever de la vie que de la mort. Comment
en effet considérer qu'un rapport sexuel pratiqué
dans l'amour et le consentement puisse être vecteur de mort
et surtout quel lient ce tout entretient-il avec le massage dans
sa version morbide ? La sexualité est massage, la masturbation,
les mouvements du coït, le baiser que la langue vient chercher
dans une bouche où tout rappel la douceur, l'intelligence,
peut être qualifiée de massage mais ce n'est pas sans
sous-tendre tout un mécanisme qui souvent nous échappe,
de soumission, d'anéantissement, de recherche de la petite
mort, de la dissolution dans le corps de l'autre, dans l'absorption
de sa sueur, de sa quintessence comme de ses miasmes, c'est mourir,
encore une fois avec pour linceul le lit d'un autre. Un autre qui,
dès sa reprise d'esprit, constitue déjà un
ré-éloignement, un échec de fusion, une dispute,
un divorce et cet autre reprend son potentiel de dangerosité
et de perversions. Le massage est une forme de communication
et il n'est pas de communication unilatéralement bonne sans
charge conflictuelle et sans permanence de la mort. Le fétus
se développe, grandi avec pour seul intention sa pérennisation.
Il sait, la vie sait que rester quelque part c'est mourir. Il faut
bouger mais pas de mouvements sans une perception minimum de son
environnement, sans ce laisser masser par le bercement intra-utérin,
il faut sortir et l'osmose initiale ne joue que pour le remplacement
de la mère. C'est rester là où il est nécessaire
qu'on reste pour que s'accomplisse les processus de construction
mais c'est aussi sortir dès que cela est possible. L'eau
du ventre maternelle, les mains de ses parents au travers des tissus
qui passent leurs chaleur et leur profond amour à l'enfant
est un massage mais c'est aussi une ombre, celles de mains prégnantes
qui ne peuvent encore vous saisir mains planent tout autour de vous.
Le massage devient dans le cas présent une menace, une crainte.
Si masser c'est toucher, lIVG, l'aspiration foetale, la fausse-couche,
les accidents, sont une façon d'atteindre l'être en
formation par le biais d'un massage final en négatif. Le
passage par le col, respirer, entendre, voir, être manipuler
contre sa volonté sans être en mesure de faire cesser
toute cette violence dans les manipulations, le risque de malformation,
de chute, d'abandon, de ventre loué pour une autre est un
Maelström insoupçonné de brutalité infernale
que les massages futurs tenteront de rejouer comme j'aurais souhaité
me livrer. Je me laisse glisser dans mon massage comme j'aurais
aimé glisser, de moi-même, hors de ma matrice et retrouver
l'état de relaxation que je viens chercher par la manipulation
d'un autre, praticien aussi, mais praticien(ne) à l'écoute
de ce corps. La mort est présente chez la parturiente
comme dans le "plateau technique" qui vous reçoit,
prêt à toute éventualité, celui de l'incident,
de l'accident, de l'irrémédiable, du lange qui se
referme aussi brutalement qu'il s'était ouvert. Des couloirs,
de l'éloignement et un autre utérus, de métal
celui-ci qui se referme dans le froid sans que personne ne sache
qu'ici c'est jouer un massage. Tragique et d'autant plus tragique
que ni cette mère de métal, ni le personnel soignant
n'est en mesure de comprendre que de leur quotidien est sorti les
prémisses de l'oubli. Mais l'enfant qui réussit, qui
s'accroche autant qu'on le retient à un sien nourricier,
aux mains d'un père, à des baisers de toute part gère
tant bien que mal un flot de massages, que sa condition passive
rend vulnérable. L'odeur matricielle, la chaleur de la peau,
ce faux ventre mal ficelé que recompose pour l'occasion linges
et bras n'est-ce pas ce que l'on retrouve dans l'amour physique
ou l'abandon au massage ? Un grain de peau, une odeurs acre suée
d'un corps, un bras autour du cou ou de la taille dont le plaisir
rappel ce même geste mais qui lui tout entier vous contenez.
Fermer les yeux facilite cette recomposition, cette remémoration
confuse qui inquiète presque autant qu'elle rassure. C'est
le rejeux de quelque chose de lointain mais c'est la conscience
que ce bras n'est pas le bon et que toujours ce danger diffus qui
nous dit que c'est finit mais que ça peut se retrouver, l'espace
d'une séance. Retrouver une somme, une totalité qui
pourtant vous menace parce que dans l'autre germe le conflit sans
que je puisse biologiquement m'en passer. Se reproduire passe par
l'autre, se re-produire, refaire ce qui à pu me paraître
un court instant, parfait. L'enfance qui découvre par le
tactile l'extraordinaire violence de ce qui l'entoure. Tous ce qu'il
voit, touche, sent, comprend le masse, le fait devenir animal-homme
pour le nourrir de ce qu'il sait ne jamais pouvoir garder. La permanence
de la mort, la permanence de la croissance qui éloigne chaque
jour un peu plus de ce rêve initial qu'on ne perçoit
déjà plus. Naître de-nouveau, autrement en avortant
l'état idéal auquel on aspire. C'est vomir un inconnu,
de mon ventre sort un anti-enfant, une bouillie née de moi
et de la chimification de mon estomac. C'est par la bouche que passe
la possibilité de comprendre son monde c'est par cet orifice
que vient mon échec. Je ne peux me reproduire moi-même,
c'est l'autre, c'est par celui que je ne connais pas que je doit
tenter une réitération pour être l'un d'un couple.
La puberté est un maeström, encore un, avec toute sorte
de régurgitations corporelles qui me fait passer du statut
de autre à celui de autre-prédateur. La caresse, la
découverte de mon corps, de ses odeurs et de ses guerres
ouvertes. Un corps qui change c'est une multitude de micro-massage,
de micro-message, c'est un autre être qui se dessine, malgré
moi mais avec moi pour matière. Toucher l'autre plutôt
que de simuler sa différence. Il est étonnant qu'il
faille un act sexuel pour qu'il soit identifié comme sexuel.
L'immensité de l'éventail corporel ne mérite
de sexualité que ce qui ne souffre aucune possibilité
d'erreur. Comment dans ce cas là peut-on envisager de comprendre
le massage dont les tonalité sont encore mille fois plus
fines ? Voir un massage dans la mort. Voir une mort dans le massage
alors qu'on ne l'a traite dans l'amour que par la légèreté
d'une expression à la fois triviale inquiète. C'est
là, dans ce malaise de mort tout comme dans son adjectif
qualificatif, petite par lequel on tente de dédramatiser
ce qui est déjà un sacré carnage corporel.
Le massage est lui aussi une petite mort avec tout le potentiel
nuisible que peut contenir la mort sur-vécu c'est-à-dire
ressenti du début jusqu'à la fin, même inconsciemment
mais dans un état de vie permettant de la sur-vivre. Ni la
magie du massage, ni celle de l'orgasme ne sont en mesures de d'exorciser
les peurs de la vie mais juste, un bref instant tenter de rejoindre
l'ultime sensation de ne faire qu'un tout en sachant au plus profond
de soit que faire qu'un avec un tiers entend la disparition d'un
des deux et donc, la mort. Je ressens par le massage les mêmes
émotions que celles que je rencontre dans la sexualité.
Mes poils se dressent et la sueur qui suit ce chemin que leur indique
mon corps sont autant de millier d'éjaculations, de régurgitations
qui abandonnent toute énergie. Elles sont autant petits massages
qui s'assèchent sur un corps huileux ou salé mais
immobile et repu de quelque chose qui fut trop subreptice pour pouvoir
être compris dans son entièreté. Ce n'est qu'à
force d'abandon, de chute, de petits décès joliment
orchestrés ou tragiquement subits que s'opère une
compréhension au prix de la vieillesse. Cet homme,cette
femme, dans la force de l'âge glisse à force d'expérience
vers l'usure de soi. C'est dans ces moments de lucidités
que l'esprit est le plus brillant et c'est là qu'on s'évertue
à nier les effets du mûrissement en ne regardant jamais
que nos chairs victime de l'horreur de ce que l'on voulait tant
fuir. La mort passe dans vos cheveux pour les blanchir comme blanchira
ce crâne sous les doigts impatient d'un savant réfléchissant
à ce à quoi on réfléchit tous, comment
échapper à tout cela ? Le massage passe dans vos cheveux
par les doigts de votre masseur ou de votre masseuse qui doit percevoir
assez de cette tragi-comédie pour laisser passer quelques
réponses, plus ou moins malgré lui.
C'est la mère-mort, celle
vers laquelle on va et ré-entre celle de l'angoisse où
l'amour devient de l'oubli.
Le Golhem des
juifs, cet art qui consiste à faire de ses main une réplique
de l'être qu'on a aimé n'est-il pas déjà
un massage.
Il y a toujours
une propension à opposer les productions de l'esprit des
productions de la main tentant à considérer que les
savoirs seraient à l'origine de tout et donc des création
manuelles ou, comme on le disait à d'autres époques,
des arts libéraux. Ce n'est pas physiologiquement faux d'ailleurs
si l'on considère que les mains ne contiennent en effet pas
de membres vitaux et que leur section n'avorte pas la vie de façon
aussi définitive que l'ablation du crâne. La main
est un noble exécutant
Ainsi donc serait-il
étrange que jamais la douleur ne se soit exorcisée
en tentant par le massage de ternir l'autre, de le toucher comme
on touche un vivant.
Etre en mains
parmi les hommes. Le massage en chirurgie.
Si pour synonyme
au mot massage on prend celui de caresse alors on voit la récurrence
du massage dans notre société. Reste à prouver
que la caresse constitue vraiment un massage mais il serait étrange
de considérer qu'une main en négatif dans une enceinte
préhistorique serait le début de l'écriture
par l'utilisation de signes compris par d'autres et dénier
au massage des ancêtres formant un proto-massage communicationnel.
Si le massage est communication, si le jeux des échanges
le positionne comme une écriture dédiée au
corps, alors ce même massage signe sa présence dans
toutes les strates de l'histoire depuis les origines et ce d'autant
plus qu'il est lié à la primitivité du toucher,
c'est-à-dire aux formes les plus répandues de contact
dans le règne animal.
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10 juillet 2008 |
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