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Masser le sexe d'un
défunt
Nous avons sur cette page un très bel
exemple de manifestation de sexualité occidentale contemporaine
passant par le massage d'un sexe de gisant. Les exemples ne sont
pas rares dans l'histoire ou telle dépouille, devenue symbolique
se charge de pouvoirs aphrodisiaques mais dans le cas présent
il se pose l'étonnante question de la moralité de
l'action. C'est en 2004 qu'une dépêche de l'AFP
déclare que "Yves Contassot, adjoint (Verts) du maire
de Paris chargé des jardins, dont dépendent les cimetières,
doit se rendre vendredi au Père-Lachaise, devant la tombe
de Victor Noir, qui fait l'objet d'attouchements jugés inappropriés
par ses services... Mais de quoi s'agit-il ? De l'étrange
sort qu'il est advenu à Yvan Salmon, plus connu sous son
nom de plume au journal La Marseillaise, Victor Noir, journaliste
de 22 ans, tué au pistolet en 1870 par le Prince Pierre Bonaparte,
neveu de Napoléon Ier et cousin de Napoléon III alors
au pouvoir sous la Restauration, pour être venu lui demander
des comptes au nom d'un de ses confères avec lequel il avait
eu maille à partir. L'affaire de ce duel avait à
l'époque fait grand bruit et participé à discréditer
Napoléon III qui perdait, la même année, la
guerre qu'il avait déclarer à la Prusse.
Le Prince fut bien sûr acquitté
mais le scandale ne s'arrêta pas là. Transféré
au cimetière du Père-Lachaise à Paris, le caveau
fut recouvert d'un gisant de bronze, signé par le sculpteur
Aimé Jules Dalou, également à l'origine du
"triomphe de la République" Place de la Nation
à Paris, sensé représenté le garçon
lors de sa mort, _donc, de sa dernière entrevue avec le Prince_
chemise déboutonnée, pantalon ouvert à la ceinture
et sexe en érection que des milliers de mains viennent, aujourd'hui
encore, caresser, masser, afin de capter l'énergie sexuel
de ce jeune Priape.
S
L'histoire ne nous dit pas si il était
vraiment venu cherché réparation et ce qu'il s'est
passé, pour qu'il soit ainsi débraillé, mais
il est certain que cette déculotté met le Prince lui-même,
et ce pour l'éternité, en "fâcheuse posture,"
faisant de l'homme qu'il a assassiné celui dont on veut toucher
l'accoutrement bien suspect lorsque l'on vient chercher réparation
pour l'honneur d'un autre. Si comme le disait Georges Brassens "même
mort il bandait encore" il n'est pas anti-bonapartiste de penser
que ce n'est pas la main dans son plastron que ce Napoléon
devait avoir ce jour-là mais bien ailleurs. Gare au gorille
? Nous n'en sommes pas vraiment éloigné. Le bronze
fit scandale mais la réputation de ses formes de garçons
dépassèrent vite en réputation le souvenir
même des moments de gloire du jeune homme. La patine persiste
à ne laisser aucun doute sur l'actualité du nombre
de visiteurs qui se presse "pour la forme et pour le geste"
bien sûr. Rappelons que nous nous situons dans un cimetière,
c'est-à-dire dans un sanctuaire, rassemblant toutes les confessions
sur quelque chose d'aussi universelle que la peine. L'esprit cabotin
du peuple ne cesse de surprendre et on ne peut demander aux jeunes
générations d'être aussi empruntée vis-à-vis
de la mort alors que son approche à radicalement changé.
Comment ne pas susciter l'envie de toucher ce qu'Aimé Jules
Dalou cru bon de souligner avec assez d'insistance pour que cela
provoque le sandale dans une population considérant comme
déplacée toute trace de virilité dans un endroit
qui en est tant dénué ? Précisément
parce qu'il n'en est pas dénué et que le pouvoir d'attraction
érotico-sexuelle de la mort montre les prédispositions
contestataires de la jeunesse qui trouve dans la mort un écho
à ses angoisses et un moyen de prendre le large mental sur
ses aînés. La mort a, de tout temps, était
l'exutoire de toutes les pulsions de l'homme et prend aussi dans
la sexualité des aspects transgressifs sanctionnés
par les moeurs admis.
Ce sexe volontairement massé ramène
incontestablement à l'Eros et à la dimension votive
du mouvement, il s'agit de caresser ce que d'autres chargent de
pouvoirs surnaturels. Nous sommes là devant une forme
érotisée mais parfaitement passive de l'instrumentalisation
de la mort, alors que dans l'histoire des dévotions le fétichisme
a pu atteindre des sommets. La passion pour les reliquaires, la
nature même des ex voto gallo-romain représentant sexes
turgescent et seins lourds de lait dans lesquels l'église
a mis bon ordre, ou les processions de tels saints ou saintes dans
des pays particulièrement croyants se nourrit d'une sensualité
issue du corps et la plus part du temps d'un corps défunt.
On nous oppose souvent la roideur du christianisme mais le dire
ne conjure pas le voir, c'est être extraordinairement peu
observateur que de ne pas remarquer la somptueuse permanence de
la beauté des corps et les cimetières en regorgent.
Les Pietàs, le lavage des pieds des disciples par Jésus,
chemin de Croix, le Christ crucifié, les écoulements
de sang, la position de la tête, du buste, la robe sans couture,
les genoux joints, des pieds rassemblés sous le clou scélérat,
la mise au tombeau, coexistent avec une permanence de la chair que
l'on ne peut distinguer de la sexualité qui prend tant de
place dans les vie des hommes qui les représentent. Tout
dans l'histoire de l'église n'est que visuels pour faire
comprendre au peuple in-instruit les nécessités de
la règle mais selon des schémas qui reprennent les
fondamentaux sexuels à tel point que le toucher, expression
de la dévotion entre constamment en contact avec l'iconographie
religieuse. Embrasser, caresser, masser, pieds, mains, gravures,
tapisseries, sculptures confortent la foi tout en déstabilisant
le corps contraint aux retenues sociales les plus perverses.
Ainsi, combien de commandes vaticanes ou d'églises de village,
destinées à la représentation des corps religieux
auxquels ont est sensé s'identifier, furent rejetées,
détruites, dissimulées, remplacées ou sujettes
à controverse ? Ce penchant pour la chair que systématiquement
couleurs et lignes viennent raviver alors qu'elles devaient prévenir
des dangers du pêché persiste.
Le sexe est dans la mort et la mort est dans
le sexe comme nous le savons aujourd'hui avec la SIDA et comme on
le savait de tout temps avec les risques mortels que représentaient
les maladies vénériennes. Vénérienne,
Veneris qui nous vient de Vénus, déesse de l'Amour
de la mythologie romaine, l'amour représenté encore
une fois par le corps des femmes qui dans la chrétienté
ne jouirent pas de la même réputation. On connaît
le pouvoir de persuasion d'Eve et celui de la terrifiante Lilith,
succube séducteur qui lui précéda. Portant
la perversion est bien avant tout sollicitée par les hommes
grands pourvoyeurs de sexe et de prostitution. Dans ce massage de
la queue Yvan Salmon, personnage du XIXème, il y a un remix
continuellement mis à jour du film "Le retour de Martin
Guerre" avec Gérard Depardieu et
Bernard-Pierre Donnadieu. Nous avons là deux lits, un celui de l'amour
ou plutôt du sexe en roue libre à plusieurs, Depardieu
et Bernard-Pierre Donnadieu, nus, juste séparés par Nathalie
Baye qui les masse et les masturbe, un sexe
dans chaque mains. Le deuxième lit est celui de la mort dans
lequel un gisant matérialise le dormeur ; mais un dormeur
que l'on a voulu clairement dépenaillé et remis dans
sa génitalité de jeune homme.
On ne fait pas un bronze au XIXème siècle, comme un
croquis au fusain et un gisant, commande pour un caveau destiné
au Père-Lachaise pour un mort qui fit grand émoi
_100 000 personnes à son enterrement_ comme une création
solitaire qui n'engage que l'artiste. Le message politique, l'irrévérence
ne peut être distinguée de la dimension sexuelle originelle.
La seule différence sur cet arrêt sur image
est autant dans le nombre de bénéficiaires de ce massage
que dans celui des masseurs et masseuses occasionnelles, à
porter leurs mains là où naturellement nous portons
tous nos yeux et participer aux "travaux d'hercule" qui
semblaient ne pas déplaire à Nathalie Baye. Pourquoi
ainsi serait-il plus morale de faire bien plus crûment au
cinéma ce qui serait inconvenant de pratiquer subrepticement
dans un cimetière ? Le respect des sépultures ne peut
justifier à lui seul qu'on érige des barrières
contre ces irrévérences qui contiennent toujours leur
part de pudeur mais aussi de peur face à la mort et ne préjuge
en rien de l'esprit de ceux qui s'y adonnent, tout au plus un goût
certain pour la remise en causes des valeurs bourgeoises.
Le massage pénien est autant un massage
du mort qu'un massage de la mort, à la fois comme une défiance
momentanée vis-à-vis de cette opposition que constitue
la vie que comme une intention sexuelle de soumission face au pouvoir
dominant de la mort elle-même. Elle est celle qui nous allonge
dans la passivité éternel de l'inanimé, celle
qui nous possède mais aussi celle qui s'érige en monument
dans les lieux qui l'accueille, en orbituaire familial ou même
de la cité toute entière. La charge phallique des
cimetières n'est, dans le cas présent, que surexposée
par les gibbosités d'un bronze. Donner à un mort ou
à sa représentation une dimension sexuelle est conforme
à l'esprit d'opposition que contient la vie. L'érection
pour exister, pour se reproduire ou l'érection architecturale
comme manifestation de la virilité de la mort répond
en écho à nos fantasmes les plus profonds. Masser
un sexe pour le faire bander et satisfaire à ses désires
de vie est la même chose que de masser un sexe de gisant pour
tenter de prendre à la mort elle-même son potentiel
d'orgasme. La petite-mort qui est une perte momentanée de
ses forces vitales par l'orgasme amenant jusqu'à l'oubli
de soi, devient ici une mort-petite, c'est-à-dire la prise
en compte de la forme d'un sexe marqué comme sexe mais qui
n'en est qu'une représentation figée dans le métal.
C'est prendre conscience de la différence de nature qu'il
y a entre le giron intime d'un gisant et le giron d'un vivant. Coït,
masturbation, placent nos attribues face à l'accomplissement
d'une finalité qui contient la déchéance de
l'énergie qu'on y a mis. Dans la logique de cet aboutissement
de vie vers l'épuisement qui est une réduction de
la mort il est naturel que l'inverse fonctionne par les représentations
dont on la dote. Dans les pouvoirs illimités de la mort qui
sont d'autant plus infinis que notre imagination n'a d'égale
que sa permanence, à l'instar des formes artistiques qu'ont
pu prendre les aspects morbides, on donne à la mort une image
anthropologique qui se dote alors de tous les codes humains. Succubes
ou Inccubes sont des démons mâles ou femelles, qui
pour exister, se doivent d'abuser les vivants dans leur sommeil
qui est une autre forme de mort, une frontière permettant
cette rencontre des deux mondes. La lubricité de la mort
n'est plus à prouvée puisqu'elle est l'inverse de
la bienséance. Du côté des vivant, toucher au
sexe d'un gisant c'est toucher à l'interdit, c'est accéder
au sexe même de la mort selon un mode nécessaire à
notre existence. Ce que ces jeunes gens flattent dans la mort génitalisée
de Yvan Salmon, c'est la permanence érectile, lorsque celle-ci
est matérialisée, qu'ils sollicitent comme le désire
de prolonger leur vie qu'ils savent momentanée avec toute
la perception de la menace dont chaque tombe est un huissier.
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Samedi 12 juillet 2008 |
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